Au pays du roi

Le Musée Dapper analyse la gestuelle kôngo

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2002 - 657 mots

PARIS - Haut de 87 centimètres, le corps hérissé de pointes et de lames, le bras droit levé, le poing serré prêt à frapper de l’arme qu’il renferme, le nkisi nkondi semble d’emblée refuser que le visiteur s’approche de lui. Comme les cent dix statues ou objets exposées au Musée Dapper, à Paris, cette statuette exprime les croyances de la culture kôngo. Les récits sur l’origine des différents peuples de langue kôngo sont très variés : une quinzaine de sous-groupes se prétendent descendants du Kôngo dià Ntotila, “le pays du roi”, à commencer par les Solongo, les Wóyo, les Yombé et les Víli. L’origine des Kôngo remonte probablement à plus d’un siècle avant l’arrivée des premiers Portugais, en 1482, même si elle reste controversée. Le nom même du peuple kôngo est une énigme. D’après l’une des traditions orales africaines, le terme viendrait de “ku ngo”, le pays des panthères, animal totémique de nombreux clans, symbole de force, de courage et de pouvoir. La majorité des objets exposés sont des minkisi destinés à la divination et aux techniques de communication avec l’Au-delà. Censé guérir et protéger les gens, le nkisi désigne toute force enfermée dans un support matériel, statue et statuette sculptée. Accessoire de base du rituel kôngo, son efficacité dépend intimement du nganga, seule personne habilitée à planter des clous dans l’objet, à l’enduire de terre, à y répandre le sang d’un animal ou à y fixer sur le ventre un reliquaire, afin de canaliser l’énergie lui permettant de détecter puis d’anéantir les forces négatives. Pour régler les litiges importants, les troubles graves comme les épidémies, les nganga font appel au nkisi nkondi – nkondi signifiant “battre”, “marteler”.

Sous le coup de la colère
La majorité des nkisi nkondi présentés prennent la forme de personnages hérissés de clous ou de lames en fer, dont chaque geste, chaque attitude a sa propre signification. Parmi toute la gestuelle kôngo, un soin particulier est apporté aux yeux : la dimension de la pupille, large, normale ou petite, signale le pouvoir de traverser les mondes. Une sculpture bêmbé comprend ainsi des yeux en porcelaine destinés à localiser les ennemis qui se cachent dans l’autre monde ; ces yeux confèrent à la figure le pouvoir d’abattre le Mal. Sous le coup de la colère, ils s’agrandissent, les pupilles ressemblent à des points d’exclamation. C’est par ce signe oculaire que les nganga avertissent le coupable qu’il doit prendre garde, que l’heure de vérité approche. Les yeux à demi fermés sont associés à la sérénité, tandis que les yeux fermés permettent de communier avec les ancêtres. Se tenir debout, les genoux fléchis, est une position nommée “fwokama” (du verbe “demander”), adoptée pour solliciter une faveur avec le respect adéquat. Si le personnage se tient debout, main droite levée et main gauche sur la hanche, il adopte une attitude sacrée, connue sous le nom de “kaka mambu” –  littéralement “interrompre la dispute” –, utilisée par le chef de la communauté. Posture agressive, les mains sur les hanches indiquent la détermination, la vigilance et la réactivité. L’humilité (s’agenouiller devant l’autorité) et la générosité (donner des deux mains) sont exprimées avec force par les ivoires et figures funéraires mintadi. En plaçant une telle figure sur la tombe, la communauté espère que le défunt continuera à la servir depuis l’autre monde. Particulièrement sobre, la présentation du Musée Dapper souligne au mieux la beauté esthétique des objets, au détriment, hélas, de leur sens profond et de leurs fonctions magiques. Une mise en scène plus originale, comme l’ont déjà fait le Parc de la Villette ou le Museum d’histoire naturelle de Lyon, plus en adéquation avec les croyances et les coutumes kôngo, aurait permis une meilleure compréhension de cette gestuelle destinée à voir et à chasser les forces du Mal.

- LE GESTE KÔNGO, jusqu’au 19 janvier, Musée Dapper, 35 rue Paul-Valéry, 75116 Paris, tél. 01 45 00 01 50, tlj sauf lundi et mardi, 11h-19h. Catalogue 228 p., 26 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Au pays du roi

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