Patrick Le Quément

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2002 - 826 mots

Patrick Le Quément, cinquante-sept ans, directeur du design industriel de Renault, a décroché, en mars dernier, au Salon de Genève, le prix du designer de l’année 2002, pour son « approche innovante dans le haut de gamme à travers les modèles Vel Satis et Avantime ». Dans cet entretien, il évoque le « design Renault ».

Comment est composé le bureau de design de Renault ?
Le bureau de design comprend 350 personnes, dont une centaine de designers. La plupart travaillent au Technocentre Renault de Guyancourt. Une douzaine est basée à Barcelone et moins d’une dizaine dans une antenne provisoire à Paris, qui s’installera, en avril 2003, dans des locaux définitifs proches de la Bastille. À ce chiffre, s’ajoute, depuis juin, la vingtaine de personnes du centre de design Renault-Samsung, à Séoul. Enfin, nous ouvrirons prochainement deux nouvelles antennes dans le monde, dont une en Europe. Pour éviter la pensée unique, Barcelone fonctionne en complète autonomie et se retrouve donc forcément en concurrence avec Guyancourt. Mais c’est aussi un lieu, comme Paris, propice à explorer de nouvelles sources d’inspiration, comme l’architecture, l’ameublement, le design produit, la mode ou le graphisme.

Comment fonctionne le bureau de design de Renault ?
Lorsque nous lançons un grand projet ou un concept-car, il y a un appel d’offres, en interne, qui permet de nous assurer de la motivation réelle des designers qui en auraient la charge. Cela permet aussi de maintenir une ébullition permanente. En général, c’est toujours la personne la plus motivée qui l’emporte, comme ce fut encore le cas récemment avec le concours de la “voiture à 5 000 euros”, qui sera produite par Dacia, en Roumanie. Actuellement, nous avons une vingtaine de designers de très haut niveau et une bonne réputation, notamment outre-Atlantique. Pour preuve : Général Motors a tenté de débaucher une quarantaine de designers de chez Renault... dont moi. Un comble !

Outre l’automobile, vous concevez aussi des produits comme un bateau, une montre ou des scooters. Quel est le but de ces projets ?
S’impliquer dans les autres domaines de la création. C’est l’antenne parisienne qui en a la charge. Elle conçoit actuellement des vélos, une gamme de luminaires, un trois-roues révolutionnaire ou l’identité visuelle de Renault en Formule 1. Tag Heuer a mis en production, il y a à peine un mois, la montre que nous avions dessinée en 1999.

Depuis quand Renault a-t-il amorcé ses collaborations extérieures ?
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, Renault a travaillé avec plusieurs créateurs extérieurs, des pointures de l’automobile, tels Giorgetto Giugiaro et Marcello Gandini, mais également des designers produit comme Mario Bellini ou Terence Conran. Les réponses ayant été peu probantes, l’expérience s’est arrêtée. À mon arrivée, fin 1987, j’ai agrandi l’équipe et réamorcé les collaborations extérieures. À l’époque, le bureau de design comptait 126 personnes. Il a aujourd’hui quasiment triplé.

Que pensez-vous de la voiture 021C dessinée, en 2000, par le designer Marc Newson pour Ford ?
Ce fut un simple coup médiatique, car si elle n’avait été l’œuvre de Marc Newson, elle aurait rapidement fini aux oubliettes. L’approche de Newson était certes intéressante, mais le résultat est à côté de la plaque sur nombre de sujets cruciaux, comme la sécurité. Une anecdote : son coffre coulissant, nous en avions réalisé un pour un concept-car... en 1988. Dans la profession, la 021C a été un bide total.

Vous consultez régulièrement des designers de l’ameublement : y a-t-il des similitudes de méthode entre l’édition mobilière et l’industrie automobile ?
Non, nous sommes dans deux registres complètement différents. Les designers produit passent de l’immobile au mobile, d’une petite série de 20 à 30 meubles par jour, à une production de 9 500 sièges par jour pour la Scenic. L’objectif pour la nouvelle Mégane II est de produire 800 000 véhicules par an. L’échelle est radicalement différente. Le décalage est complet, ce qui ne nous empêche pas d’aller rencontrer Tom Dixon à Milan, ou Ron Arad à Londres. Je suis convaincu qu’il y a un potentiel dans l’échange. Souvent, le designer extérieur nous montre une voie que nous n’avions pas même soupçonnée.

Pouvez-vous définir ce qu’est le “Touch Design” developpé par Renault dès 1999 et mis en pratique en 2001 sur le concept-car Talisman ?
Un objet pourrait symboliser cette démarche : l’arc de compétition. Sa poignée est façonnée pour accueillir au mieux la paume de l’athlète, alors que le reste de l’objet n’est que haute technologie. Le “Touch Design” se traduit donc par ce travail sur les interfaces entre le véhicule et le corps humain. Il ne s’agit pas d’un retour au “Bio Design”, plutôt totalitaire, cher à Luigi Colani. Le “Touch Design” s’applique d’ailleurs plus à l’intérieur qu’à l’extérieur d’un véhicule. Il s’agit de développer une appropriation optimale et simplifiée de la technologie par l’homme, à travers des volumes simples et des îlots techniques qui regroupent les fonctions. L’objectif : favoriser la manipulation intuitive, pour que, au final, le véhicule dégage un sentiment de sérénité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Patrick Le Quément

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