Turin accueille un laboratoire pour les arts

La Fondation Sandretto Re Rebaudengo ouvre 3 500 m2 consacrés à la création contemporaine

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 940 mots

Avec l’inauguration de la Fondation Sandretto Re Rebaudengo, Turin vient
de se doter d’un centre d’art à vocation internationale.
Née de l’initiative de la collectionneuse Patrizia Sandretto, et soutenue par des fonds publics, l’institution ouvre ses portes avec une exposition consacrée à la jeune création italienne et prévoit une programmation ambitieuse sous la direction artistique de Francesco Bonami.

TURIN - “Le modèle qui m’a inspiré dans la création de ce lieu est celui des Kunsthalle allemandes et des centres d’art français et ce, tant en termes d’exposition qu’en termes de production”, explique Patrizia Sandretto Re Rebaudengo. Avec son service pédagogique, son auditorium, sa salle Internet, sa cafétéria habillée d’argent par Rudolf Stingel, et un programme qui entend dépasser le simple cercle des arts plastiques, elle n’a pas manqué de dépasser certains de ses modèles. Collectionneuse de longue date et présidente depuis 1995 de la fondation qui porte son nom, cette dernière voit dans le bâtiment turinois de la Fondation Sandretto Re Rebaudengo l’achèvement de sa réflexion sur la mise en œuvre d’un projet culturel ambitieux. Pourtant, alors que le site vient juste d’ouvrir ses portes, elle ne peut s’empêcher de prévenir : “Nous n’en sommes qu’au commencement.” Et pour cause. Si le long rectangle de pierre sablée évoque dans sa forme austère des fonctions, ce sont celles d’un laboratoire. Telle est la première idée qui vient devant la construction commandée en 1999 au très minimal et chic Claudio Silvestrin. L’architecte milanais a pris le parti abrupt d’une coupure. L’édifice ressemble à un abri austère et intemporel coupé de son contexte, un quartier résidentiel de la périphérie. Pourtant, une fois à l’intérieur, le rapport s’inverse : situé sur un rez-de-jardin, le bâtiment réussit par ses larges entrées à établir un échange avec son environnement, un paisible jardin public.

Classique pour une institution consacrée à l’art contemporain, le choix du “white cube” est ici poussé à son paroxysme. Élégamment soulignée sur sa longueur par une fente qui filtre la lumière zénithale, la neutralité de l’espace d’exposition de 1 000 m2 (sur une surface totale de 3 500 m2) répond aux exigences d’une programmation qui n’entend pas se heurter aux murs. En cela, le siège turinois de la Fondation est diamétralement opposé au fort caractère historique de son ancienne demeure, une villa du XVIIe siècle dans les hauteurs de Guarene. Pour l’heure, cette dernière continuera d’accueillir quelques expositions et une présentation de la collection de la maîtresse des lieux, mais le siège turinois en est désormais la tête de pont. Avec en ligne de mire les Jeux olympiques d’hiver de 2006, Turin se détourne désormais de son passé industriel et mise sur son développement dans le tertiaire et le tourisme. D’un point de vue politique, la décision prise en 1996 par Patrizia Sandretto a su drainer des financements publics dans cette initiative privée. D’un coût total de 6 millions d’euros, la construction est pour moitié financée par des fonds européens et la Région du Piémont. “La concentration des institutions artistiques autour de Turin, que ce soit le Castello di Rivoli, le Palazzo Cavour ou la Galerie d’art moderne (Gam) est une force pour la Fondation”, se félicite la collectionneuse, qui réaffirme constamment son ambition pour sa ville natale.

Comme pour prendre ses marques, s’implanter dans son voisinage proche, la Fondation a ouvert ses portes avec “Exit”, une manifestation consacrée à la jeune création italienne (lire encadré). Mais c’est bien au-delà des frontières nationales que la Fondation entend prospecter. Avec un budget annuel de 1,5 million d’euros, quatre expositions par an sont prévues et la deuxième, en janvier 2003, sera une monographie de Doug Aitken. Sous la tutelle de Francesco Bonami, directeur artistique de l’institution, et, depuis quelques mois, de la Biennale de Venise, la Fondation a réuni autour d’elles une véritable dream team de conseillers : Dan Cameron, commissaire au New Museum de New York, l’historien d’art Flaminio Gualdoni, Kasper König, le directeur du Ludwig Museum de Cologne, la critique Rosa Martinez et le “parisien” Hans-Ulrich Obrist. Gageons qu’avec autant de bonnes fées autour de son berceau, la Fondation Sandretto Re Rebaudengo ne peut que voir ses vœux exaucés.

L’Italie sur son versant actuel

L’exercice de la topographie d’un paysage mouvant ne peut être qu’une chose difficile. En s’attachant à "une nouvelle géographie de l’art italien", l’exposition inaugurale de la Fondation, "Exit", confiée à Francesco Bonami, n’échappe pas aux écueils inhérents à la volonté de montrer les transformations à l’œuvre dans l’Italie contemporaine. C’est donc jetés dans une arène commune, sans cimaises ni séparations, qu’une soixantaine d’artistes ont été invités à montrer leurs travaux. Par trop symptomatique d’une volonté d’exposition qui privilégie l’effet de masse et d’énergie aux travaux individuels, "Exit" réserve toutefois quelques surprises et confirmations. Daniele Puppi séduit encore avec une projection très physique où il tente de grimper à une porte (Fatica n.16), et Paola Salerno confirme son talent dans la saisie sensible d’un paysage calabrais en équilibre. Côté nostalgie, Andrea Salvino utilise la méthode pointilliste de la peinture sociale italienne du XIXe siècle pour dépeindre des scènes d’émeutes contemporaines (Ricominciare da capo non significa tornare indietro, 2002). Pour le coup très italien, Alex Ceccheti livre lui un remake étourdissant et contemporain de la vie de saint François d’Assise. Dans une lignée pas si éloignée du Uccellacci e Uccellini de Pasolini, le héros mystique y prend les traits d’un amateur de hard rock. Mais l’attraction principale du lieu restera sans doute la construction élémentaire et spectaculaire de Patrick Tuttofuoco. Son installation, intitulée " ", est le résultat d’une collaboration avec le groupe de musique BHF. Concentration de pulsations et d’architecture visionnaire, elle scintille comme le reflet d’une science-fiction obsolète. - EXIT, UNE NOUVELLE GÉOGRAPHIE DE L’ART ITALIEN, jusqu’au 6 janvier 2003, catalogue.

- Fondation Sandretto Re Rebaudengo, via Modane 16, Turin, tlj sauf lundi, 11h-19h, 11h-23h le jeudi, tél. 39 011 1983 1600, www.fondsrr.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : Turin accueille un laboratoire pour les arts

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