Sauvage, un homme du centre

Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 768 mots

De l’Art nouveau au Style international, Henri Sauvage (1873-1932) a laissé quelques-uns des jalons essentiels de l’architecture moderne, comme ses fameux immeubles à gradins. La monographie de Jean-Baptiste Minnaert met en lumière le soin apporté par Sauvage aux moindres détails de ses constructions, en même temps que la capacité à intégrer toutes les contraintes propres au projet d’architecture.

L’immeuble à gradins du 26, rue Vavin (Paris, 6earrondissement), couvert des mêmes carreaux de faïence que les couloirs du métro, reste à juste titre l’une des réalisations les plus célèbres d’Henri Sauvage (1873-1932), et une de ses contributions les plus audacieuses à l’architecture moderne. Contre toute attente, l’immeuble mitoyen, donnant sur le 127, boulevard Raspail, d’un style apparemment plus traditionnel avec sa façade en pierres de taille, est également son œuvre. Le paradoxe n’est pourtant qu’apparent ; ce voisinage fortuit met en évidence la souplesse de l’architecte, apte à s’adapter aux contraintes de la commande et de la réglementation, et révèle aussi la continuité entre le créateur et l’homme d’affaires. Considéré à la fin de sa vie comme un homme du “centre”, à mi-chemin des anciens et des modernes, Sauvage apparaît pourtant comme un protagoniste majeur dans l’histoire de l’architecture moderne, de l’efflorescence de l’Art nouveau aux prémices du Style international. La monographie que lui consacre Jean-Baptiste Minnaert narre le détail de cette aventure et bénéficie d’une riche iconographie, nourrie notamment des archives de l’Institut français d’architecture : la subtile combinaison des vues d’ensemble et des détails, des photographies d’époque et contemporaines, des dessins d’ornement et des élévations, indique le soin extrême apporté par l’architecte à ses œuvres.

Venu de la décoration intérieure, Henri Sauvage exploite à ses débuts ses liens avec des figures aussi essentielles que Frantz Jourdain, Alexandre Charpentier et Louis Majorelle. C’est ce dernier qui lui confie sa première commande : la villa Jika à Nancy. Ce monument de l’Art nouveau  témoigne de sa vision unitaire des arts, de l’architecture et des arts décoratifs, à laquelle il s’efforcera de rester fidèle. Les nombreuses boutiques qu’il conçoit dans l’effervescence des années 1900 portent l’empreinte de cette philosophie ; elles montrent également un intérêt pour toutes les formes d’architectures, qui le conduit à méditer aussi bien sur l’immeuble d’habitation à bon marché (HBM) que sur le plus lucratif immeuble de rapport. Quelques années plus tard, en 1913 exactement, Sauvage contruit de nouveau pour Majorelle un immeuble au 124-126, rue de Provence à Paris (9e), qui constitue un autre jalon essentiel de l’art de construire : en précisant “le découplage entre structure ‘d’ingénieur-constructeur’ (béton armé) et décor ‘d’architecte-artiste’ (mosaïque, placage de pierre et ferronneries)”, il contribue de façon déterminante à “l’esthétique que l’on appellera bientôt l’Art déco”.

L’auteur ne sépare jamais l’analyse du projet architectural des conditions, parfois douloureuses, dans lesquelles il s’est réalisé. Ainsi des problèmes de coût et de rentabilité pour les HBM, ou des difficultés à satisfaire les exigences des règlements de voirie. Pour l’immeuble à gradins du 13, rue des Amiraux (Paris, 18e), pas moins de six versions du projet seront nécessaires pour obtenir l’autorisation administrative. Naturellement, Jean-Baptiste Minnaert consacre de longs développements à ces immeubles à gradins, qui ont obsédé Sauvage. Issu “de multiples réflexions menées par les hygiénistes sur l’ensoleillement et l’aération des logements”, ce système semble transposer à la construction urbaine courante “une forme nouvelle de sanatorium”, souligne-t-il. Malheureusement, ce type d’immeuble “n’est applicable dans la totalité de ses principes, sans aucun inconvénient et avec tous les avantages qu’invoque son inventeur, que sur un vaste terrain, vierge de toute servitude parcellaire et quelque peu dégagé des contraintes de voirie et de gabarits”.

Comme l’indiquent les nombreuses études qu’il a menées sur ce système, Henri Sauvage est un chercheur toujours en quête de nouveaux modes de construction susceptibles de satisfaire les exigences de confort aussi bien que les impératifs de rentabilité. Si, au cours des années 1920, les immeubles de rapport de luxe constituent sa principale source de revenus, il expérimente dans d’autres commandes, en l’occurrence des grands magasins (La Samaritaine à Paris, les magasins Decré à Nantes), les techniques d’usinage et de planification du chantier. Parallèlement, les archives de l’Institut national de la propriété industrielle ont révélé l’ampleur des recherches de Sauvage dans le domaine de la construction rapide. Comme l’écrit en conclusion l’auteur, “la volonté [...] d’intégrer dans une méthode de travail constamment remise à jour les composantes, esthétiques, réglementaires et financières du projet d’architecture [constitue] la meilleure définition, la plus intemporelle aussi, que l’on puisse donner de ‘l’esprit moderne’”.

- Jean-Baptiste Minnaert, Henri Sauvage, éd. Norma/Institut français d’architecture, 2002, 416 p., 350 ill. coul. et 224 n&b, 85 euros. ISBN 2-909283-63-1

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : Sauvage, un homme du centre

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