La couleur pourpre

Quand Richelieu voulait faire de Paris la nouvelle Rome

Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 853 mots

Ministre implacable et déterminé de Louis XIII, incarnation de la raison d’État, le cardinal de Richelieu (1585-1642) a employé toute son énergie à la restauration de l’autorité royale et à l’affirmation de la puissance française en Europe. Comme le montre l’exposition « Richelieu : l’art et le pouvoir », organisée par le Musée des beaux-arts de Montréal, les arts ont joué un rôle fondamental dans la réalisation de ce dessein grandiose : faire de Paris la nouvelle Rome.

MONTRÉAL - Visitant le château de Richelieu en 1662, La Fontaine avait ironisé sur ce grand homme qui ne s’était jamais soucié de profiter de cette orgueilleuse demeure ni des collections, pourtant pléthoriques, qu’elle abritait. Le cardinal, il est vrai, avait d’autres préoccupations, tout occupé qu’il était au redressement du royaume et à la lutte contre les ennemis de l’État. Pourtant, l’ambitieuse politique de mécénat menée par le ministre de Louis XIII s’inscrivait pleinement dans ce grand dessein. Comme le montre l’exposition du Musée des beaux-arts de Montréal, les commandes de tableaux et de décors pour palais et églises ainsi que les chantiers architecturaux contribuent, selon son vœu, à faire de Paris la nouvelle Rome, avec Louis dans le rôle d’Auguste. Dans le domaine des lettres, la création de l’Académie française a été la manifestation la plus exemplaire de cette ambition.

Entré au conseil du roi en 1624, le cardinal exerce un pouvoir absolu à partir de 1630 et sa fameuse journée des Dupes. Or aucune politique de grandeur ne saurait se dispenser des arts et des lettres, à la fois gages et instruments de cette puissance. Certains programmes s’affichent ouvertement politiques, telle la Galerie des hommes illustres (1632-1635), qu’il charge Philippe de Champaigne, son peintre favori, et Simon Vouet de réaliser au Palais-Cardinal. Comment ne pas voir dans le Portrait de l’abbé Suger par Vouet l’idéal de l’homme d’église au service de la patrie et de la religion, auquel Richelieu s’identifie ? Que le constructeur de la chapelle de la Sorbonne se reconnaisse dans le bâtisseur de la basilique Saint-Denis n’est pas non plus pour surprendre. Mais cette galerie compte également plusieurs figures de chefs de guerre, comme Simon de Montfort (par Vouet), qui avait mené la croisade contre les Albigeois. Le vainqueur de La Rochelle y voyait sans doute un autre modèle. De petits panneaux historiés de Juste d’Egmont, identifiés récemment, complétaient les grands portraits. Pour plus de littéralité dans la célébration du pouvoir contemporain, les effigies de Richelieu, Louis XIII, Henri IV, Marie de Médicis, Anne d’Autriche et Gaston d’Orléans achevaient le programme. La gravure joue un rôle non moins négligeable dans la construction de l’image du ministre-prélat.

À l’instar du Saint Jérôme de Georges de La Tour, conservé à Stockholm, les tableaux religieux sont mis au service de la représentation apologétique du pouvoir. Réalisé pour une autre pièce du Palais-Cardinal, Moïse devant le buisson ardent de Poussin était ainsi très important pour Richelieu qui voyait dans cette figure biblique “son précurseur à la tête d’un grand peuple qui traverse une crise dans son histoire” (Blunt).

Fidèle mécène de Champaigne, le cardinal vouait une authentique admiration à Poussin, qu’il lui manifeste lors de sa venue – un peu forcée – à Paris en 1640. La Destruction du Temple de Jérusalem (1625-1626), premier tableau du maître romain entré dans ses collections, lui avait été offert par le cardinal Francesco Barberini. S’ensuivront notamment les commandes des célèbres Bacchanales, mais surtout celle de la Grande Galerie du Louvre, dont l’iconographie herculéenne est commune au roi et au cardinal. Études et esquisses documentent ce chantier monumental. Inspirée par la politique royale, la noblesse participe à l’essor des arts. Les trois tableaux de Vouet, peints pour la chapelle de l’hôtel Séguier, et présentés à Montréal, en témoignent.

Mais le dessein de Richelieu serait resté inachevé sans son volet architectural, dont Jacques Lemercier a été le principal artisan. L’exposition évoque ainsi, à travers dessins, plans et gravures, les chantiers du Palais-Cardinal (futur Palais-Royal), de la chapelle de la Sorbonne, et surtout le château de Poitou, que Richelieu se fait construire dans la ville nouvelle qui allait porter son nom. Pour orner cette fastueuse demeure, commande est passée notamment à Nicolas Prévost dont les œuvres ont été récemment exhumées à Orléans (lire le JdA n° 102, 31 mars 2000), à Claude Deruet ou encore à Jacques Stella. Sa Libéralité de Titus, qui fait écho à la Destruction du Temple de Jérusalem qui mettait également en scène cet empereur romain, cultive l’analogie entre l’Antiquité et la France moderne, cette nouvelle Rome.

Un poème de Georges de Scudéry trouve les mots justes pour évoquer la figure du cardinal : “Car ce cœur si noble et si haut / N’aspira jamais qu’à la gloire / Elle occupa tous ses regards. / Pour elle, il aima les beaux-arts / D’une passion sans égale."

- RICHELIEU : L’ART ET LE POUVOIR, jusqu’au 5 janvier, Musée des beaux-arts, 1380 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, tél. 1 514 285 2000, tlj 11h-18h, mercredi 11h-21h. Catalogue, 432 p., 75 dollars canadiens (48 euros). L’exposition sera présentée à Cologne, au Wallraf-Richartz Museum, du 31 janvier au 20 avril 2003.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : La couleur pourpre

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