Les bilans de la Fiac

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2002 - 950 mots

Dans une conjoncture tendue, la 29e édition de la Fiac avait valeur de test pour juger du marché de l’art moderne et contemporain en France. Les résultats, honnêtes, ont rassuré de nombreux observateurs et acteurs. Mais, au-delà des effets d’annonce par le biais des valses de chiffres et du renouvellement des galeries invitées, la Fiac a-t-elle atteint ses objectifs ?

PARIS - Il est certes difficile de rendre compte des mouvements de fonds entre des intentions d’achat et des investissements suscités par la Fiac, mais une foire d’art contemporain se mesure aussi à partir des impressions délibérément délivrées par ses participants. Dans ce contexte, du côté des galeristes satisfaits, la palme revient à la toute jeune galerie parisienne Hervé Loevenbruck, qui a fait carton plein en exposant les œuvres de Bruno Peinado. Pour leur première participation, Anne Roussel et Hervé Loevenbruck ont dès le premier soir amorti leur stand. De “nombreuses peintures sur bois, proposées pour 1 800 euros, le Vélo Chopper et l’iMac” en céramique du jeune artiste ont été arrachés par des collectionneurs français et allemands. Également comblée, Solène Guillier, de la galerie & : gb agency située dans le 13e arrondissement parisien. Elle a vendu, entre 2 250 et 4 250 euros chaque, un nombre important de photographies inédites d’Elina Brotherus. Très satisfait, Yvon Lambert n’est pas en reste : “J’ai très bien travaillé. Mieux que l’an dernier. J’ai vendu trois fois Les Mains de Prague de Christian Boltanski.” Plus mesuré, le galeriste Michel Rein s’estime assez content : “J’étais très anxieux. Je ne suis pas euphorique, mais je suis rentré dans mes frais.”

Du côté des mécontents, on trouve essentiellement les galeries américaines. Certains de leurs confrères français leur reprochent de ne pas avoir joué le jeu, d’avoir affiché, à l’instar de la galerie new-yorkaise Tanya Bonadkar, une présence hautaine, ou bien d’avoir proposé un accrochage totalement à contre-courant des attentes des acheteurs français. “On a voulu montrer trois artistes pour des Français qui commencent tout doucement à s’acclimater au marché international, explique Nathalie Karg, de la galerie Anton Kern, à New York. Un Français a acheté la toile de Eberhard Havekost. Ce sont des pièces qui se vendent immédiatement à la galerie. J’aurais aimé qu’elles restent dans des grandes collections françaises.”  Daniela Garen, de la galerie londonienne White Cube, reconnaît toutefois que “cette année, la Fiac est de meilleure qualité, [mais] c’est une foire très locale, pour les Français et les Belges. Elle n’est pas au niveau des foires internationales. On a vendu un peu de tous les artistes. Je ne suis pas sûre qu’on revienne.” Idem pour Marc Payot de la galerie Hauser & Wirth (Zurich) : “Par rapport à d’autres foires, c’était très moyen. Il y avait des collectionneurs intéressants, mais pas décidés à [passer à] l’achat. Je pensais que ce serait mieux.” Certes, la situation n’est pas catastrophique pour tous les nouveaux venus. Encore sous le charme de sa première participation, la galerie londonienne f a projects déclare que, pour elle, “c’est le début d’une histoire. Nous avons essentiellement pris des contacts”, tandis que Kai Heinze, de la Leo Koenig Gallery de New York, qui a vendu neuf pièces, reste très lucide : “Nous sommes très contents de la couverture médiatique. Mais il faut être là pour la seconde ou la troisième fois pour être vraiment remarqué. Par rapport à d’autres petites foires que nous avons pu faire l’an dernier, la Fiac est la meilleure. Les collectionneurs sont prudents. Ils reviennent deux à trois fois avant de prendre une décision. Les grands collectionneurs ne sont pas là. Ils vont à Cologne ou à l’Armory Show de New York.” L’autre écueil de cette 29e édition est le sort réservé au secteur “Perspectives”, isolé à l’extrémité du hall. “Le côté ‘Perspectives’, c’est pas mal, mais je ne suis pas sûre que beaucoup de gens vont jusqu’au fond [de la foire]”, lâche Nathalie Karg (Anton Kern). L’année dernière, le secteur dédié aux jeunes galeries qui innovent dans la création contemporaine se situait au milieu du hall d’exposition et assurait une certaine cohésion dans l’agencement et l’organisation de la foire. Officiellement, cette délocalisation est présentée comme une “mise en perspective”, et l’on insiste sur le parcours qui remonte graduellement de l’art moderne vers l’art contemporain pour aboutir à la scène émergente. Dans les faits, cette scénographie a créé un effet de vide et a éclaté l’unité apparente de la foire. En effet, on pouvait être saisi par le contraste entre les allées clairsemées des galeries d’art moderne et la concentration de visiteurs dans le secteur “Perspectives”. Cette scénographie a eu des effets qui se sont immédiatement fait ressentir : les ventes d’art moderne ne se sont pas autant emballées que dans le secteur contemporain. “Il y a beaucoup de visiteurs, peu d’acheteurs, raconte Armin Bienger de la Malborough Gallery (Londres). Voilà deux ans, on a vendu tous nos Conroy. Cette année, seulement un et demi. Les affaires sont lentes. Je n’ai vu aucun grand collectionneur. Comparé à d’autres foires où nous allons, ce n’est pas bien organisé.”  Jean Frémon, codirecteur de la galerie Lelong, semble du même avis : “Commercialement, ce n’est pas extraordinaire, pas encore suffisant.

Comparativement, c’est la moins bonne foire que l’on fait. On a vendu une toile de Sean Scully, deux sculptures de Plensa, deux sculptures de David Nash. Le premier jour, on avait pas mal de collectionneurs, mais principalement des Parisiens. On a fait un effort cette année pour apporter des œuvres à des prix moindres que les années précédentes. Si on ne l’avait pas fait, on n’aurait rien vendu.” Visiblement partagé, ce mécontentement est-il une simple affaire de conjecture ou le résultat d’un aménagement qui est peut-être à revoir ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Les bilans de la Fiac

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