Culture : le tour du propriétaire

Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2002 - 1339 mots

Le 29 octobre, Jean-Jacques Aillagon a exposé la stratégie immobilière du ministère de la Culture et de la Communication en région parisienne. Ce « plan quinquennal » entérine largement les arbitrages initiaux, sous réserve d’amendements ultérieurs. Seule véritable surprise, la mutation du Jeu de paume et la diffusion de l’art contemporain à Paris.

PARIS - Chacun se souvient que le ministre de la Culture avait publiquement remis en cause trois grands projets institutionnels peu après sa nomination : le “51 rue de Bercy”, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et la Cité de l’architecture et du patrimoine. À propos de cette dernière, Jean-Jacques Aillagon avait même déclaré le 4 juillet : “J’ai dit et je répète que, à mes yeux, la Cité de l’architecture et du patrimoine n’a pas trouvé sa cohérence et son sens.” Quatre mois plus tard, le programme initial sera finalement mis en œuvre sans modifications, ou presque, nonobstant la mission confiée à Wanda Diebolt, directrice de l’Architecture et du Patrimoine, chargée “d’élaborer un cadre institutionnel qui assure l’activité culturelle de l’ensemble”. Ainsi, l’aile Paris du Palais de Chaillot accueillera un musée d’architecture conçu autour des collections du Musée des monuments français (MMF), des galeries d’expositions temporaires, de l’Institut français d’architecture (Ifa), du Centre des hautes études de Chaillot, etc. D’ici à l’achèvement des travaux, l’Ifa et les services du MMF s’installeront début 2003 au Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (Maao). Une mission concernant l’avenir de ce musée, condamné à disparaître depuis la création du Musée du quai Branly, a été confiée à Béatrice Salmon, directrice des musées de l’Union centrale des arts décoratifs. Le bâtiment Art déco de l’architecte Laprade serait ainsi susceptible d’accueillir un Musée des arts décoratifs du XXe siècle.

Ballotté depuis près de vingt ans de “palais” en “maison”, le cinéma a enfin trouvé son port d’attache. Ce sera bien le “51 rue de Bercy”, dans l’ex-American Center conçu par Frank O. Gehry. L’adresse demeure, mais la dénomination change au profit de son nouvel affectataire, la Cinémathèque française, qui y concentrera toutes ses activités. Sans préjuger des conclusions du rapport confié à Serge Toubiana sur “La politique patrimoniale française en matière cinématographique”, l’avenir du Groupement d’intérêt public (GIP) réunissant Cinémathèque française, Bibliothèque du film (Bifi) et Service des archives du film semble compromis. D’ores et déjà, le Centre national du cinéma a été prié de se mettre en rapport avec la BNF (Bibliothèque nationale de France) afin d’examiner dans quelles conditions celle-ci pourrait accueillir l’antenne des Archives du film.

Quant à la Bifi, même si la pertinence d’un regroupement avec la Cinémathèque ne fait pas de doute, chacun sait combien les relations entre ces deux associations sont tendues. L’entourage du ministre se fait fort de surmonter ces blocages, tout en s’attelant immédiatement à l’élaboration d’une nouvelle convention avec la Cinémathèque, qui permette enfin à l’État d’exercer pleinement son droit de regard sur cette association subventionnée à 85 %.

Bien que stigmatisé lui aussi le 4 juillet, l’INHA est finalement confirmé dans sa vocation à jeter un pont entre universitaires et conservateurs, mais il devra consentir à quelques sacrifices. Si son implantation dans le carré Vivienne ne peut plus être remise en cause, l’Institut risque en revanche de faire seul les frais de la pénurie d’espaces dans le quadrilatère Richelieu. Selon le cabinet ministériel, une surestimation des surfaces utiles disponibles couplée à une sous-estimation des besoins des sept départements spécialisés de la BNF ont fait apparaître “un déficit de surfaces de plus de 5 000 m2”, sur un total de 46 000 m2 utiles. Les parties en présence auraient conclu un “Yalta qui donne satisfaction à chacun”, selon la formule du ministre. Mais ces âpres négociations arbitrées par la Rue de Valois aboutiraient à une réduction sensible des surfaces octroyées à l’INHA : l’Institut devrait finalement se contenter de 8 000 m2 contre les 13 000 m2 programmés à l’origine. De ce fait, les activités administratives et pédagogiques de l’École des chartes devraient migrer dans un immeuble de la rue de Richelieu. De même, la bibliothèque de l’INHA serait calibrée à 265 000 livres en libre accès contre les 400 000 prévus initialement. Quant à la salle de lecture qui lui sera affectée – salle Ovale ou salle Labrouste –, le cabinet affiche sa préférence pour la première, alors que l’INHA a toujours projeté de disposer de la seconde ! L’Institut entend cependant défendre son pré carré et demander à la BNF de procéder elle aussi à des “externalisations”. Quoi qu’il advienne, priorité sera donnée à la complète mise aux normes de sécurité de l’ensemble des bâtiments et des équipements du site Richelieu, contrairement au projet de départ qui se limitait aux espaces dévolus à l’INHA.

Le ministre n’a pas fait non plus mystère de ses préférences concernant le Centre des archives. Adoptant la même logique patrimoniale qu’à l’égard de l’ancienne BN, il souhaiterait privilégier la rénovation du Centre historique des Archives nationales, rue des Francs-Bourgeois. En outre, plutôt que de trouver un site supplémentaire pour accueillir le futur Centre des Archives postérieures à 1958, Jean-Jacques Aillagon a clairement mis en valeur les atouts du Centre des Archives contemporaines, situé à Fontainebleau, dont seulement deux silos sur dix ont été construits à ce jour. Cette option présente l’insigne avantage de ne pas obérer d’emblée le budget de l’opération, puisque l’État est déjà propriétaire de la réserve foncière. Cette implantation est malheureusement excentrée, c’est pourquoi la direction des Archives de France entend poursuivre ses études concernant deux sites encore en compétition – à Paris, près de la porte de Bercy, et à Saint-Denis-Université. À charge pour elle de trouver les moyens de faire baisser de moitié le budget prévisionnel de 175 millions d’euros, conformément au vœu exprimé par le ministre de la Culture...

Le Jeu de paume en chantier
La véritable nouveauté est à chercher du côté de la photographie et de l’art contemporain. Jean-Jacques Aillagon a confirmé son intention d’affecter, à l’horizon 2004, de nouvelles missions au Jeu de paume (lire le JdA n° 157, 25 octobre). Le but est de donner davantage de visibilité à la politique de l’État en faveur de la photographie, “du daguerréotype à la vidéo”. Le Centre national de la photographie (CNP) quittera la rue Berryer pour s’installer au Jeu de paume. Une mission conduite par Michel Ricard, directeur du projet pour la photographie, nommé à ce poste sous le ministère de Catherine Tasca, devra formaliser cette reconversion qui englobera également l’association Patrimoine photographique, ainsi que ses espaces de l’hôtel de Sully. La décision a provoqué une vive protestation des personnels du Jeu de paume, malgré les propos rassurants du ministère sur l’absence de licenciement. Ce choix relance le débat sur la place de la création contemporaine à Paris dans les années à venir. Le Site de création contemporaine du Palais de Tokyo sera soumis à un bilan, après la fin du mandat confié jusqu’en 2004 à ses directeurs Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. Reconduction, fermeture, ou transformation en le rattachant à une “institution d’art moderne et contemporain”, à comprendre Beaubourg, sur un modèle proche du lien qui unit à New York P.S. 1 au MoMA (Museum of Modern Art) ? Les hypothèses ne manquent pas. Le ministère rappelle que le Site n’occupe qu’une infime partie des surfaces disponibles dans l’aile ouest du Palais de Tokyo et qu’il souhaite éviter tout “mitage” en le partageant entre différentes affectations. Le déplacement du Site au sein de l’espace que souhaite ouvrir la mairie de Paris dans les anciennes Pompes funèbres du 19e arrondissement est également une alternative plausible. Jean-Jacques Aillagon a rappelé à de nombreuses reprises sa volonté d’un rééquilibrage entre l’État et les collectivités territoriales concernant les projets parisiens. En ces temps de décentralisation, c’est vers les Régions que devront se tourner les actions de l’État. Dans ce cadre, plusieurs initiatives seront annoncées en décembre, dont l’ouverture d’une antenne du Centre Pompidou. Si l’on tient à faire durer le suspens, la Lorraine, région pilote dans le processus de décentralisation culturelle, serait vraisemblablement une bonne terre d’accueil pour ce satellite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Culture : le tour du propriétaire

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