Izzard, le spécialiste new-yorkais

Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 1225 mots

Le marchand d’art japonais Sebastian Izzard traite avec de nombreux musées, ainsi la Freer Gallery of Art et la Arthur M. Sackler Gallery de la Smithsonian Institution (Washington), ou le Musée de la ville de Chiba, au Japon. Attiré dès l’âge de neuf ans par les estampes japonaises, il s’est plus tard tourné vers la profession de graphiste. Ce n’est qu’à vingt-deux ans que Sebastian Izzard est entré à la faculté des études orientales et africaines de l’université de Londres, et est allé perfectionner sa connaissance du japonais en séjournant un an dans le pays. Puis, il a obtenu son doctorat avec une thèse sur les portraits gravés de Utagawa Kunisada. Durant ses études, il a travaillé à temps partiel chez Christie’s, avant de diriger de 1980 à 1997 le département japonais de cette maison à New York. En 1998, il s’est établi à son propre compte comme marchand. Il travaille maintenant dans ce que les connaisseurs new-yorkais qualifient de “deuxième centre artistique de la ville”, où se trouvent également les bureaux des marchands Lawrence Steigrad et Michael Goedhuis. Tous les ans au mois de mars, Sebastian Izzard présente une exposition à la galerie Dickinson Roundell. Il a répondu à nos questions.

On a tendance à penser que votre domaine ne concerne que des créneaux bien spécifiques, avec des collections constituées exclusivement de inro ou de flacons de tabac à priser. Pouvez-vous nous parler de l’éventail des choix et de la taille d’une collection type aujourd’hui ?
Il est vrai que de nombreux collectionneurs s’intéressent surtout à un domaine particulier, mais il existe aussi des gens comme Mary Burke (membre bienfaiteur de la Asia Society et du Metropolitan Museum of Art, à New York). Elle collectionne à tous les niveaux, et c’est une source d’inspiration pour les autres. Aujourd’hui, trois ou quatre collectionneurs lui ont emboîté le pas et rassemblent d’impressionnantes collections, qui comprennent aussi bien des peintures et des estampes japonaises que des épées de ce pays, des laques et des netsuke. Au total, trente ou quarante collectionneurs font des acquisitions d’objets dignes des musées. Une autre façon de quantifier l’intérêt porté à ce domaine, c’est de regarder la liste des gens à qui j’envoie mes catalogues. Au début de ma carrière de marchand indépendant, j’avais une liste de cinq cents adresses. Aujourd’hui, j’en ai douze cents.

Comment le marché évolue-t-il par rapport à cette généralisation de l’activité de collectionneur ?
Il y a vingt ans, les collectionneurs de haut niveau étaient rares. Avec le boom des années 1980, presque aucun collectionneur américain ne pouvait soutenir la concurrence des prix avec les Japonais, qui ne laissaient plus personne acheter quoi que ce soit, et nous avons perdu toute une génération de collectionneurs. Dans les années 1990, nous avons vu le marché se stabiliser. Les objets sont soudain devenus moins chers. Par exemple, des paravents du XVIIe siècle qui se vendaient des millions de dollars dans les années 1980 sont revenus sur le marché huit ans plus tard et se sont vendus 300 000 ou 400 000 dollars (298 924  ou 398 166 euros) seulement. Nous vivons actuellement une période particulièrement propice pour acheter ; les œuvres du XVIIIe et du XIXe siècle, ainsi que les costumes nô, sont particulièrement sous-évalués. L’Amérique tient la plus grande partie du marché. Si vous demandez aux marchands de Londres où se trouve la majorité de leurs clients, ils vous répondront qu’ils sont aux États-Unis.

Davantage d’objets japonais se retrouvent également en salles des ventes...
Oui, malheureusement, au Japon, même les grandes institutions sont en difficulté en ce moment. Le mois dernier, le Musée Manno, à Osaka, a consigné des costumes nô de la période Edo à Christie’s New York.

Pouvez-vous décrire le goût japonais par rapport au goût américain ?
Le goût européen a surtout été influencé par les objets provenant du Japon de la fin du XIXe siècle. Tandis qu’ici, aux États-Unis, le plus grand impact sur le goût a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation du Japon. Les grands conservateurs et les érudits comme Sherman Lee ont pu, en tant que G.I., découvrir de bonne heure le Japon et ses créations artistiques. Dans une certaine mesure, le goût américain s’appuie sur plus de connaissances que celui des Européens. Prenez la collection du Museum of Fine Arts de Boston, très spécialisée dans les épées, les peintures et les netsuke de la période Edo. Elle est encyclopédique. En revanche, la collection du Metropolitan Museum of Art de New York est plus sélective, avec des objets rassemblés après la Seconde Guerre mondiale. Un autre exemple de goût distinct de celui des Européens est l’intérêt porté aux pots de grès plutôt qu’aux céramiques pour la cérémonie du thé, qui peuvent dater du XVe ou du XVIe siècle. Les céramiques les plus chères sont celles des XVIe et XVIIe siècles : un bol à thé koetsu peut valoir des millions de dollars ! Plusieurs expositions sur la cérémonie du thé organisées à la Japan and Asia Society l’été dernier ont encore renforcé l’intérêt pour ces objets. En Europe, on n’est pas aussi pointu dans ce domaine.

Vous étiez le seul marchand américain à la Biennale inaugurale des Arts asiatiques le mois dernier à Paris, et vous présentiez également une exposition à la galerie Yoshii, à Paris. Pouvez-vous nous parler du marché français et des raisons qui vous ont poussé à y intervenir ?
Je suis allé en France pour essayer d’encourager le marché. Malheureusement, les dates de cette foire (du 21 au 25 septembre) coïncidaient avec la semaine asiatique à New York. Mais mes collègues parisiens m’ont dit avant la foire qu’il y aurait des clients européens, scandinaves et russes. Ces marchands m’ont également conseillé de mettre l’accent sur le décoratif, car les collectionneurs recherchent le mobilier en laque rouge tape-à-l’œil, les émaux cloisonnés et les sculptures.

Où en est la recherche dans le domaine de l’art japonais ? Y a-t-il eu récemment d’importantes découvertes dans ce domaine ?
En Amérique, toute une génération de chercheurs s’est formée pendant la guerre. Par conséquent, la connaissance de l’art japonais est d’un niveau plus élevé. Prenons les peintures shijo et nanga de la période Edo, par exemple. Il y a quatre ou cinq grands collectionneurs en activité dans ce domaine rien qu’aux États-Unis.

Dans ce pays, les décorateurs recherchent tout ce qui est en vannerie. Qu’en pensez-vous ?
Une partie de cet intérêt pour la vannerie décorative et la céramique contemporaine vient de ce qu’elle s’harmonise très bien avec l’architecture contemporaine, qui a bien sûr été influencée par l’architecture japonaise traditionnelle. Des gens me demandent un ou deux objets vraiment originaux, mais il ne s’agit pas à proprement parler de collectionneurs. Quant aux vanneries, la demande est très répandue. J’ai entendu parler d’un Argentin qui prévoit d’ouvrir un musée consacré à la vannerie, et de grands collectionneurs s’y intéressent aussi en Amérique.

Existe-t-il une institution destinée à devenir un centre d’étude des arts japonais ?
Le Peabody Essex Museum à Salem, dans le Massachusetts, deviendra un centre consacré aux objets commerciaux japonais. Il n’y a en fait qu’un seul grand collectionneur dans ce domaine, Ned Johnson, de Fidelity Investments. Il a une extraordinaire collection d’articles d’exportation et une des très grandes collections de netsuke. Le port de Salem a longtemps commercé avec l’Asie. Il est donc naturel que cette ville consacre un centre aux articles de ce commerce

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : Izzard, le spécialiste new-yorkais

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