Mathieu Matégot, grand couturier du design

Jousse Entreprise consacre une importante exposition au mobilier de l’un des maîtres de la tapisserie française

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 824 mots

Né à Tapio-Sully (Hongrie) en 1910, naturalisé français en 1948, et mort à Angers l’an passé, Mathieu Matégot avait plusieurs cordes à son arc : la peinture d’abord, la tapisserie surtout, mais la création de mobilier aussi. C’est sur ce dernier aspect de son œuvre que la galerie Jousse Entreprise, à Paris, met l’accent, dans une exposition modestement baptisée « Mathieu Matégot ».

PARIS - Il est rare que l’activité qu’exerce un artiste en parallèle à sa vraie passion fasse œuvre. C’est pourtant le cas avec Mathieu Matégot. Formidable peintre-cartonnier, auteur de plus de six cents pièces originales qui firent de lui l’un des maîtres de la tapisserie française contemporaine, il fut également un créateur de mobilier hors pair. À preuve, cette exposition que lui consacre la galerie Jousse Entreprise, à Paris, et qui met en avant cette facette indissociable de l’artiste. “On assiste aujourd’hui à une redécouverte de l’œuvre de Mathieu Matégot, estime Philippe Jousse, responsable de la galerie. Or, même s’il était plus connu pour sa tapisserie, et sans dénigrer cet aspect majeur de son travail, ce qui m’intéresse, cinquante ans après, c’est son mobilier : je suis plus attiré par Duchamp que par Aubusson, par l’objet plus que par la tapisserie.”

Excepté deux pièces textiles, accrochées légèrement en retrait, presque à regret, c’est bel et bien le “designer” Matégot qui est ici évoqué, celui qui sut façonner avec tant de brio un matériau : la tôle perforée. On ne trouvera donc quasiment pas trace, hormis quelques modèles montrés en catimini, de son mobilier de jardin en tige de fer, joyeusement bucolique. Ni même de ses premières réalisations en tôle perforée avec le motif “en trèfles”, sans doute trop classique, à part une unique table ronde. Non, c’est le Matégot résolument moderne que donne à voir Philippe Jousse, celui qu’il qualifie tout bonnement de “précurseur du design contemporain”.

Il n’a pas tort. Il suffit de regarder de près les pièces présentées – lit, chaise, fauteuil, porte-revues, lampe, plus une multitude de tables, hautes, basses, gigognes ou roulantes – pour remarquer une réelle originalité dans les formes. Si, dans les années 1930, Matégot use de différents matériaux dont le rotin, le laiton ou le Formica, il utilise dès 1945 et avec un bonheur évident la tôle perforée, matériau qu’il a découvert en Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. La légende veut que, dans l’usine de construction mécanique où, prisonnier, il fut affecté, il ait, grâce à des chutes de tôle perforée, carrossé une caisse à savon en petite Bugatti. De retour à Paris, il met au point une technique pour perforer le métal, d’abord avec des motifs en trèfles, puis avec des trous carrés ou ronds. Une résille ajourée qu’il baptise, en 1952, “Rigitulle”. “La technique était simple, concède-t-il à l’époque. Mais j’avais peur d’être copié. J’ai donc décidé de travailler comme un couturier, en petites séries, et c’est ainsi que j’ai commencé à découper la tôle et à faire des objets (1)”. Entre 1942 et 1959, Mathieu Matégot dessinera une vingtaine de modèles par an, dont on peut contempler moult exemples : les chaises “Kyoto”, “Nagasaki” et “Panama”, le fauteuil “Copacabana”, le lustre “Santiago”, la lampe “Bagdad” et la table roulante “Venise”, meubles aux patronymes qui fleurent bon l’exotisme, en vogue dans les années 1950. Le designer invente aussi une machine capable de plisser la tôle à la manière d’un tissu de laine ou de soie, machine à partir de laquelle il imagine, notamment, la série de luminaires “Satellite”. Un plafonnier est ici malicieusement transformé en applique murale, à la manière des tentacules d’une lampe Mouille. Plusieurs photographies d’époque, en noir et blanc, ainsi que des gouaches en couleur, assez proches, graphiquement, de celles de son contemporain Jean Royère, montrent les créations in situ. Dans la foule de meubles, on repère évidemment quelques pièces maîtresses, comme le propre fauteuil de Mathieu Matégot, en métal laqué et cuir suspendu, ou encore ces pièces retrouvées récemment au Maroc : le fauteuil “Ferotin” (1952) – un siège qui, à l’instar des premiers meubles conçus par Matégot, dans les années 1930, déploie du rotin sur une structure métallique –, et ces banquettes semi-circulaires en Rigitulle, réalisées en 1954 pour le salon d’accueil de l’aérodrome de Tit-Mellil, près de Casablanca.

En 1959, au faîte de sa gloire, ce “grand couturier” du design, adepte des séries limitées, ne se reconnaît plus dans une industrie qui prône la production standardisée. Il quitte son costume de designer et s’en retourne à la tapisserie : “Je suis un créateur, expliquera-t-il. Quand il faut exploiter et faire le commerce de ses idées, ça ne m’intéresse pas (1).” Membre de la Société des artistes décorateurs, il avait alors pour condisciples Charlotte Perriand, Jean Prouvé, René Herbst et Serge Mouille... La fine fleur du design naissant.

MATHIEU MATÉGOT

Jusqu’au 31 décembre, galerie Jousse Entreprise, 24 & 34 rue Louise-Weiss, 75013 Paris, tél. 01 53 82 13 60, du mardi au samedi, de 11h à 19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : Mathieu Matégot, grand couturier du design

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