La force de la peinture espagnole du siècle d’or

Les petits maîtres du XVIIe siècle sont dans l’ombre de Vélasquez, Ribeira, Murillo, Ribalta, Zurbaran, ou El Greco

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 1115 mots

Les grandes signatures espagnoles du siècle d’or figurent parmi les plus recherchées dans la peinture européenne du XVIIe siècle. Hors des grands maîtres, les peintres moins importants sont appréciés seulement par quelques collectionneurs privés hispaniques.

PARIS - Fait rare sur le marché de l’art parisien, trois tableaux espagnols du XVIIe siècle passeront prochainement en ventes publiques. Le 6 décembre, une belle nature morte de 86 x 125 cm du Pseudo Hiepes, estimée 250 000 – 350 000 euros, sera mise en vente à Drouot-Richelieu chez Millon & associés, tandis que le 18 du même mois, Piasa dispersera des tableaux de la collection du maréchal Soult qui fut gouverneur d’Andalousie en 1810 : une série de trois panneaux attribuée à Luis Tristan illustrant la vie de saint François de Paule, estimé de 15 000 à 120 000 euros chacun, et une toile de 108 x 81 cm, La Vierge remettant l’habit de la Merci à saint Pierre de Nolasque par Francisco de Zurbarán et son atelier, estimée 90 000-120 000 euros. Si, depuis une bonne dizaine d’années, la raréfaction des œuvres sur le marché de la peinture ancienne fait grimper les prix, “le phénomène est aggravé pour la peinture espagnole de l’Âge d’or”, constate l’expert français en tableaux anciens Éric Turquin. D’abord, il y a moins de marchandises sur le marché : les destructions napoléoniennes et la guerre d’Espagne y sont sans doute pour quelque chose. “L’intérêt pour les artistes espagnols du XVIIe siècle est de plus en plus fort, poursuit-il. Les principaux achats se font par les musées en Espagne et aux États-Unis, ou bien partent dans de grosses collections espagnoles.” Selon l’expert René Millet, “les travaux de l’historien d’art William B. Jordan ont fait redécouvrir plusieurs peintres, ce qui a contribué à réactiver l’engouement pour la belle peinture espagnole”. Cependant, les maîtres “moyens” suivent une hausse moins spectaculaire, la ponction des musées étant moindre. Ils intéressent également moins les collectionneurs privés. Comme le confirment plusieurs spécialistes, quitte à acheter un second couteau, ces derniers préfèrent s’orienter vers la peinture italienne de la même époque. En fait, lorsque l’on parle de peinture espagnole au XVIIe siècle, seuls quelques grands noms sont cités, tels Diego de Velásquez, Juan Carreño de Miranda, Francisco Collantes, Francisco de Herrera le Vieux, Juan Valdés de Léal, Bartolomé Murillo, Francisco Ribalta, José de Ribera, Juan Sánchez Cotán, Francisco de Zurbarán et El Greco. Bien que ce dernier soit plutôt un artiste de la fin du XVIe siècle, il a une telle influence sur le siècle d’or qu’il en demeure indissociable. Hors de ces grands maîtres madrilènes, sévillans ou tolédans, n’y aurait-il donc point de salut ? “Alonso Cano, un très bon élève de Vélasquez, n’intéresse qu’une poignée d’amateurs”, admet Pascal Zuber, qui dirige le département des Peintures anciennes chez Christie’s France. La maison de vente présente toujours dans ses vacations londoniennes une section de peinture espagnole pour laquelle le public est largement moins nombreux que pour le marché italien ou français. Selon le spécialiste, “on manque sérieusement de documentation sur tous les satellites de Vélasquez. Le domaine est pointu et méconnu. Je suis convaincu qu’un acheteur bien renseigné peut faire de très bonnes affaires en visant les peintres espagnols secondaires”. S’il faut compter au minimum 100 000 euros pour une grande signature, il est possible d’acquérir pour la moitié de cette somme une très belle œuvre
d’un nom moins prestigieux.

Les aficionados de la peinture espagnole du XVIIe siècle ont une préférence très marquée pour les natures mortes. “Ce sont à mon avis les plus belles, s’enthousiasme Pascal Zuber. Alors que les natures mortes françaises sont très linéaires, que celles d’Italie ou de l’école du Nord accumulent les éléments floraux et les fruits, les compositions espagnoles sont sobres et austères tout en ayant une construction élaborée avec un effet de lumière que l’on ne retrouve dans aucune autre école.” René Millet évoque “leur sensibilité religieuse, une symbolique qui entre très fortement en ligne de compte et qui prend souvent forme dans une composition triangulaire évoquant la Sainte Trinité”. Plus concrètement, les premiers prix démarrent à 100 000 euros pour un tableau de qualité. Les connaisseurs sont prêts à monter les enchères à 3 millions d’euros pour une toile sublime. Dans ce champ pictural, ils ont leurs “pinceaux” favoris, comme Juan de Arellano, Juan de Espinosa, Tomás Hiepes, Juan Sánchez Cotán, Juan de Zurbarán. Une paire de toiles de 87 x 75,5 cm signée Tomas Hiepes, Bouquet de roses dans un vase orné du lion de la province de Léon et Bouquet d’œillets à la pièce d’orfèvrerie, a été adjugée 1,4 million d’euros le 19 juin 2000 à un collectionneur privé (SVV Aguttes, hôtel des ventes de Neuilly-sur-Seine). “Juan de Arellano, qui passe de temps en temps en salle des ventes, est particulièrement apprécié, car il ne peint que des fleurs, ce qui répond à un goût très international. Les peintures représentant des fruits sont généralement moins prisées”, indique le spécialiste de Christie’s.

Quant à la peinture religieuse, un thème réputé plus difficile, le siècle d’or lui a insufflé une émotion nouvelle. Face aux mêmes sujets, la peinture espagnole se montre nettement plus profonde et plus exaltée que le baroque italien ou le classicisme français. Et, alors que dans une scène de Pietà des tableaux de l’école du Nord, la Vierge est toujours peinte dans un moment de recueillement, dans une composition espagnole, celle-ci figure éplorée devant un Christ dont les gouttes de sang coulent de la couronne d’épines plus abondamment que jamais. Dans le tableau de Zurbarán qui sera mis en vente sur le marché parisien le 18 décembre, “l’image de la Vierge en blanc sublimée est à la limite du mystique”, commente Éric Turquin. “On retrouve cette culture du sentiment excessif, du sentiment émotionnel exagéré aussi bien dans la peinture que dans la sculpture espagnole du XVIIe  siècle”, rappelle Pascal Zuber. Un des tableaux les plus chers vendus ces dernières années avait un atout particulier : Sainte Rufina, peinte par Vélasquez et vendue chez Christie’s, à New York, le 29 janvier 1999, pour 8,91 millions de dollars (8,87 millions d’euros), n’est autre que la patronne de la ville de Séville. Plus rares et plus recherchés sont les sujets tirés de l’Ancien Testament ou les figures de philosophes. Alors qu’aux États-Unis et en Espagne, des expositions récentes font honneur à cette peinture du siècle d’or, la France qui, depuis la collection de Louis-Philippe commencée au XIXe siècle, compte de nombreux amateurs du genre, n’a plus accueilli de grande exposition consacrée à cette école depuis “La peinture espagnole du siècle d’or, de Gréco à Vélasquez” au Petit Palais, à Paris, en 1976. Pour Pascal Zuber, elle “mériterait d’être renouvelée au Grand Palais”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : La force de la peinture espagnole du siècle d’or

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