Des flux et des reflux

Nicolas Floc’h au Frac Nord–Pas-de-Calais

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 660 mots

Depuis le milieu des années 1990, l’artiste nantais Nicolas Floc’h
a développé une œuvre où les notions d’art, de fonction, et de transit circulent dans un va-et-vient permanent. L’exposition monographique que lui consacre le Fonds régional d’art contemporain (Frac) du Nord–Pas-de-Calais multiplie les entrées dans un système fluctuant propre
à multiplier projets et collaborations.

DUNKERQUE - Hystérique, un homme crie, sautille, se trémousse de manière mécanique, compte, note et puis s’arrête d’un air contenté en replaçant son casque. En une minute, la vidéo Market (2001) de Nicolas Floc’h place la poésie sonore dans la loi du marché. Filmé au Japon dans un marché aux poissons, le vendeur matérialise dans son débit le flux de la marchandise, tandis que la caméra transforme le simple exercice de son métier en performance. Là, comme dans nombre des œuvres réalisées depuis une petite dizaine d’années par l’artiste, les questions de l’échange, du passage et des transactions se cristallisent autour de l’inscription de l’art au sein de ces flux permanents. Ainsi des Écritures productives initiées en 1995 et auxquelles l’exposition consacrée à Nicolas Floc’h par le Frac Nord–Pas-de-Calais donne une large place. Le principe en est simple : chaque produit est issu du mot qui le désigne. Des salades sont plantées pour figurer le mot “salade”, des radis pour figurer le mot “radis”, des marais salants dessinent le mot “sel”... Les denrées sont ensuite vendues avec un texte explicatif, et leur consommation peut donner lieu à une documentation établie par l’acheteur. Systématisé sur une vingtaine de produits, l’exercice, souvent commenté comme une “tentative d’infiltration du réel”, succombe en fait assez vite aux sirènes de la tautologie poétique et autres jeux duchampiens usés jusqu’à la corde. Les Peintures recyclées pour lesquelles des couleurs utilisées sur une toile sont remises en tube tirent sur la même ficelle.

Cette recherche d’une économie “Lavoisier”, où rien ne se perdrait, rien ne se créerait, mais où tout se transformerait, est en fait beaucoup plus pertinente dans ses aboutissements matériels. En recyclant des chutes de tissus laissées à disposition par les maisons Cacharel, Schinichiro Arakawa et Christian Lacroix, les Fashions paintings (2002) (peintures de mode) de Nicolas Floc’h révèlent l’inconscient pictural de cette économie. L’imprimé s’y transforme en une abstraction référencée et le plissé en sculpture post-minimale. Disposé dans l’ensemble des espaces d’expositions du Frac et utilisé comme mobilier d’accueil, le Functionnal Floor (2002) (sol fonctionnel) se place quant à lui à la jonction exacte des grands principes de l’architecture moderne et de l’histoire de la sculpture minimale. Composé de plaques en aluminium prédécoupé, ce plancher est une surface de fonctions en attente. Les éléments se soulèvent pour donner naissance, selon les besoins, à des tables, chaises ou étagères. Dans la même optique, la Structure multifonctions créée par l’artiste est confiée à différents intervenants. L’expérience qui avait donné lieu l’an passé à une création chorégraphique à Reims est reconduite ici.

La position de plateau adoptée par ces œuvres signale la faculté de circulation de l’œuvre de Nicolas Floc’h, son agilité à sauter de sphère en sphère (le rond-point Camouflage réalisé dans la ville de Dunkerque) et à multiplier les collaborations. L’intervention de ce dernier sur Novo, le film à sortir de Jean-Pierre Limosin, en est un des plus brillants exemples. Pendant une scène, l’artiste a rajouté trois caméras sur l’appareil du cinéaste, lui adjoignant autant de points de vue supplémentaires et enregistrant le fameux hors-champ du cinéma. Séduisante dans la théorie, l’œuvre l’est encore plus dans sa formulation plastique. Après une première projection sur un seul écran, la scène recommence sur l’ensemble des écrans disposés sur les quatre murs. Par contraste avec la simplicité du dispositif, l’appel d’air produit sur le spectateur est troublant.

NICOLAS FLOC’H, jusqu’au 21 décembre, Frac Nord–Pas-de-Calais, 930 avenue de Rosendaël, Dunkerque, tél. 03 28 65 84 20, tlj sauf lundi, 10h-18h, samedi 13h-19h, www.fracnordpdc.asso.fr. Le 10 décembre à 20h30, représentation au Bateau Feu / Scène nationale de Dunkerque, en collaboration avec Christian Rizzo et Rachid Ouramdane.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : Des flux et des reflux

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