Enquête

L’avenir passe-t-il par le judiciaire ?

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2008 - 792 mots

L’équilibre économique des jeunes sociétés de ventes volontaires est menacé par le monopole des commissaires-priseurs judiciaires sur les inventaires de successions.

La jeune société de ventes volontaires (SVV) toulousaine Marambat-Camper a déposé son bilan fin 2007. Les deux jeunes commissaires-priseurs diplômés en 2003, Xavier Marambat et Blandine Camper, avait monté leur SVV en 2004, à Toulouse, où sont établies huit autres SVV. Ils avaient privilégié le développement des relations avec des notaires de la région. En 2006, un tiers de leur activité en valeur reposait sur ce réseau de notaires. « Nous avons réalisé plus de 200 inventaires en 2 ans », précise Blandine Camper. Or, la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, restreignant leur champ d’intervention en les rendant « incompétents » à établir des inventaires de succession, a compromis l’avenir de leur société. Ainsi cette loi, mise en application au 1er janvier 2007, modifie-t-elle l’article 764-1 du Code général des impôts (CGI) en ces termes : « L’inventaire est établi par un commissaire-priseur judiciaire, un huissier ou un notaire, selon les lois et règlements applicables à ces professions ». Pour les deux jeunes commissaires-priseurs, c’est le choc. Pour pouvoir continuer l’exercice de leur métier, dans un système pourtant censé être libéral depuis la loi de juillet 2000, il est devenu impérieux en 2007 d’avoir la casquette judiciaire ! « Nous avons alors pensé racheter la charge d’un commissaire-priseur judiciaire en fin d’activité. Mais nous n’avons trouvé aucune opportunité de rachat dans la région », expliquent-ils. Malgré une population de commissaires-priseurs « version ancien régime » très vieillissante, il y a très peu d’offres de charges judiciaires à vendre sur le territoire. Comment alors répondre à la demande prévisionnelle d’une vingtaine de nouveaux commissaires-priseurs diplômés chaque année ?

Rachat d’étude judiciaire
Xavier Marambat s’est finalement associé à Me Hervé Chassaing, installé à Toulouse. Ce dernier lui cédera sa charge lorsqu’il partira en retraite… dans cinq ans. Revenue en région parisienne, Blandine Camper, toute aussi pragmatique, cherche une étude judiciaire à racheter. « Je m’adapte en rentrant dans le rang. Mais les promesses de la réforme ne sont pas là », commente-t-elle dépitée. Ce surcoût lié à l’achat d’une charge judiciaire est aujourd’hui devenu nécessaire pour la survie économique des jeunes structures. D’autant plus que les inventaires génèrent une partie importante de l’activité de ventes volontaires.

Le retour du monopole
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de juillet 2000, la qualification des inventaires des meubles meublants destinés à éviter le forfait fiscal des 5 % en matière successorale avait donné lieu à une bataille permanente, afin de savoir s’ils étaient judiciaires ou volontaires. À la suite d’une question écrite posée par Hervé de Charette et d’une réponse du ministère du Budget (publiée au J.O. le 9 août 2005, p. 7681), le problème semblait réglé. La réponse du ministère se référait à l’article 29 de la loi de juillet 2000 indiquant que les commissaires-priseurs judiciaires ne jouissent d’un monopole qu’en matière de ventes judiciaires. « Position que le commissaire du gouvernement a toujours soutenue devant le conseil des ventes et dans différents articles ou notes… », écrit le commissaire du gouvernement Serge Armand, dans le rapport d’activité du conseil des ventes de 2005. Cette réforme portant sur les inventaires dits « fiscaux » intervient pourtant un an plus tard. À qui profite le crime ? Aux commissaires-priseurs judiciaires qui, à la perte de leur monopole, jugeant leur indemnisation insuffisante, ont trouvé un moyen de revaloriser leur charge pour mieux la revendre aux nouvelles SVV ? « L’inventaire fiscal doit être effectué par un officier ministériel. La chancellerie a voulu cela. La Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires (CNCPJ) n’était pas contre », répond François Perron, président de la CNCPJ. Et si l’avis du Syndicat des maisons des ventes volontaires (Symev) est affligeant : « Nous nous alignons sur la position de la CNCPJ... », c’est que 80 % de leurs adhérents ont la double casquette volontaire-judiciaire.
En attendant que la transposition de la directive services ne remette la question de l’activité d’inventaire sur le tapis, certains jeunes commissaires-priseurs font de la résistance. Ainsi, Damien Leclere, installé à Marseille en décembre 2006, déclare-t-il : « Je n’achèterai pas une charge judiciaire. Ce n’est pas mon métier. Je me suis orienté vers le marché de l’art haut de gamme et je fais pour cela appel à d’autres réseaux que celui des notaires ». Idem pour Anne Richmond de Lamaze, implantée à Chamalières depuis novembre 2006. « Ce problème du judiciaire est un combat d’arrière-garde. Pour ma part, je vis de ma prospection volontaire, lance des ventes thématiques et fais participer la presse locale. J’ai un local professionnel avec vitrines, sur une rue passante. Et pour l’instant, je suis viable économiquement ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : L’avenir passe-t-il par le judiciaire ?

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