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Dans l’ombre de Philippe de Champaigne

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2008 - 763 mots

Le Musée d’Évreux met en exergue les deux principaux collaborateurs du maître français et mène une enquête passionnante au sein de son atelier.

ÉVREUX - Tandis que la rétrospective consacrée à Philippe de Champaigne (lire le JdA no 259, 11 mai 2007, p. 9) achève son périple au Musée d’art et d’histoire, à Genève, le Musée des beaux-arts d’Évreux (Eure) pénètre dans l’atelier du peintre et met en lumière le travail de ses collaborateurs les plus proches. « Nous parlons d’école plutôt que d’atelier de Philippe de Champaigne, et ce, afin de souligner combien le maître respectait le travail personnel de ses coopérateurs », précise la conservatrice Laurence Le Cieux, à la tête du musée depuis 2004.

Deux figures émergent de ce travail en équipe : Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681), neveu du peintre, et Nicolas de Plattemontagne (1631-1706), des artistes auxquels les historiens de l’art ont longtemps attribué les « mauvais » Champaigne, relève Pierre Rosenberg dans la préface du catalogue, soulignant que la réalité est bien plus complexe. En témoignent les œuvres ici présentées, d’abord des copies exécutées pour diffuser la production de Champaigne, puis des travaux situés dans la continuité du maître avant des productions beaucoup plus personnelles. « Le travail de Jean-Baptiste se distingue par des tons très délicats, des plis serrés, peu d’éléments, mais une composition radicale et un réel souci du détail pour révéler la quintessence du sujet », note Laurence Le Cieux. En revanche, Nicolas de Plattemontagne utilise des coloris plus chauds, ses personnages adoptent des expressions très vives. L’artiste a largement subi l’influence de Le Brun. Ce n’est ainsi pas un hasard si Le Christ mort, longtemps attribué au célèbre artisan de Versailles, vient finalement d’être rendu à Nicolas de Plattemontagne. Tout comme ces deux tableaux récemment réattribués à Jean-Baptiste : La Femme étendue tenant un arc (1666-1670), dont on a longtemps cru qu’il était de Pierre Mignard, et Sine Cerere et Baccho friget Venus (1665-1670), accordé jusqu’en 1999 à Noël Coypel – cette dernière peinture fait cependant encore débat. La confrontation des œuvres devrait permettre aux spécialistes de trancher la question. Les historiens de l’art et conservateurs, qui se réuniront prochainement à Évreux à l’occasion d’une journée d’étude, pourront également se prononcer sur le Portrait de trois enfants, une toile toujours sujette à polémique. Accordé à Champaigne à la fin des années 1950, puis rejeté par Bernard Dorival (auteur de la monographie de référence sur l’artiste) en 1977, le tableau serait bel est bien de la main de Philippe selon Dominique Brême, commissaire scientifique de la manifestation.

Similitudes et différences
Grâce à un accrochage judicieux, les toiles, dessins, gravures, esquisses et croquis se répondent et affichent les similitudes comme les différences fondamentales de styles entre les artistes. En outre, le parcours est l’occasion de belles retrouvailles. Les décors subsistants réalisés par Jean-Baptiste pour l’appartement du Grand Dauphin, au palais des Tuileries, en 1666-1670, ont ainsi pu être réunis : le grand tableau Le Centaure montre à Achille à tirer à l’arc retrouve les deux frises consacrées à la leçon de tir à l’arc et à la course de char, conservées au Louvre, ainsi qu’une délicate Étude pour la tête d’Achille. Pour les commissaires, il s’agit aussi de réhabiliter l’œuvre de Nicolas de Plattemontagne dont nombre de toiles séjournent depuis longtemps en réserve dans l’attente d’une restauration. Seule une réfection permettrait, en effet, de se prononcer sur des œuvres comme Placide retiré de l’eau par le frère Maur, réalisée par Philippe de Champaigne et son atelier, et pour laquelle il est très difficile de distinguer les différentes mains. De même en est-il pour L’Ange désignant à Benoît l’emplacement du mont Cassin, un tableau dans un excellent état de conservation cette fois, dont sont remarquables la subtilité des tons et la finesse de certains éléments tels la figure de l’ange, le visage et les mains de saint Benoît. Laurence Le Cieux n’hésite pas, quant à elle, à parler d’une « véritable fusion » entre les artistes de cet atelier rendant le casse-tête des attributions quasi insoluble.

Le corpus de dessins de Nicolas de Plattemontagne réunis à la fin du parcours pourra apporter quelques éléments de réponse et dégager de nouvelles pistes de recherche. Ce propos, passionnant pour les professionnels, devrait aussi ravir le grand public, qui peut s’immiscer ici dans l’intimité d’un atelier du XVIIe siècle français, au plus près des artistes.

À L’ÉCOLE DE PHILIPPE DE CHAMPAIGNE

Jusqu’au 17 février, Musée municipal d’Évreux, 6, rue Charles-Corbeau, 27000 Évreux, tél. 02 32 31 81 90, tlj sauf lundi 10h-12h, 14h-18h. Catalogue, éd. Somogy, 206 p., 35 euros, ISBN 978-2-7572-0136-7

À L’ÉCOLE DE PHILIPPE DE CHAMPAIGNE

- Commissaire général : Laurence Le Cieux, conservatrice en chef, directrice du Musée d’Évreux - Commissariat scientifique : Dominique Brême, maître de conférences à l’université Charles-de-Gaulle-Lille-III, assisté de Frédérique Lanoë, diplômée de l’École du Louvre

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Dans l’ombre de Philippe de Champaigne

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