Architecture

Mise à l’Équerre

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 567 mots

Qui n’a pas eu son Équerre d’argent ? Depuis vingt ans, le gratin de l’architecture française est annuellement récompensé par ce prix très couru, créé et décerné par le Groupe Moniteur. Cette année, c’est le tandem Pierre du Besset et Dominique Lyon qui emporte la palme pour la bibliothèque municipale à vocation régionale de Troyes.

Troyes-en-Champagne, une vieille, longue et riche histoire. Les comtes de Champagne y tenaient une cour raffinée et érudite. Une forte communauté juive s’y était établie, et le “peuple du livre” enrichissait intellectuellement la ville et ses bibliothèques, déjà bien fournies.

Survinrent, plus tard, la Révolution et la dispersion des “Biens nationaux”. Parmi ceux-ci, la somptueuse bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux, récupérée par la ville ; ce qui vaut aujourd’hui à la bibliothèque de Troyes de compter, parmi ses trésors, la bible personnelle de saint Bernard, annotée de sa main...

Tout cela existait et se superposait dans un ordre aléatoire. Réunir, regrouper, classer, il fallait un projet de bibliothèque digne de ce nom. Concours fut organisé, remporté par l’équipe Lyon/du Besset. L’objectif : une bibliothèque municipale à vocation régionale dont l’État finance 40 % du coût pour peu qu’elle touche au moins 100 000 habitants, qu’elle procède à un regroupement de moyens et qu’elle constitue une réelle incitation à la lecture.

Troyes est la dixième bibliothèque de ce type édifiée en France. La première, la médiathèque d’Orléans, est également signée Lyon/du Besset, auxquels on doit en outre la Maison de La Villette, la bibliothèque de Rungis et, à venir, la médiathèque de Lisieux et la bibliothèque inter-universitaire de Grenoble.

Bref, autant dire que les deux architectes sont des familiers de la lecture et de sa diffusion. À Troyes, ils se sont trouvés confrontés à une curieuse situation urbaine. En bordure du boulevard Gambetta, la bibliothèque s’en trouve séparée par un McDrive. Pas question de “dialoguer “ avec le McDonald’s, il s’agissait plutôt de le “manger”. Résultat, un bâtiment sans réelle façade.

“La présence du bâtiment est constituée par la juxtaposition de très grands éléments disposés en bandes ou en nappes filantes”, confie Dominique Lyon. Participent, entre autres, de cette démonstration, l’escalier rose, le déambulatoire jaune, la façade bleue, la grande salle – longue de 57 mètres, aux murs tapissés de livres précieux, presque inaccessibles, et qui donne une image très forte, vaguement nostalgique et émouvante...

Frottés à l’art contemporain (on leur doit notamment à Paris l’aménagement de la galerie Anne de Villepoix), les architectes se sont assurés les conseils de Gary Glaser pour la polychromie et la décoration, et ont confié le 1 % artistique à Lawrence Weiner. Celui-ci a réalisé une œuvre tout à la fois d’une extrême modestie et d’une très grande force : une phrase, “Écrit dans le cœur des objets”, longue de 65 mètres et dont chaque lettre est haute de 2,50 mètres. “Une œuvre énigmatique et absolument prédestinée”, s’enthousiasme Dominique Lyon.

Et, au-dessus de tout ça, un plafond ininterrompu de 4 000 m2 et composé de milliers de barrettes en aluminium doré assemblées en vagues. Un plafond constamment changeant, avec lequel jouent toutes les lumières, diurnes et nocturnes, où s’organise une étrange dialectique d’apparition-disparition.

Manière sans doute de définir un “espace mental” pour la lecture. Un espace de près de 11 000 m2 édifié pour la somme totale de 11,81 millions d’euros (hors mobilier et aménagement extérieur). Ce qui, par les temps qui courent, constitue une performance notable.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : Mise à l’Équerre

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