Dans les bras de Shiva

Nice met à l’honneur les miniatures indiennes

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2003 - 682 mots

Léguée par Edwin Binney, la collection de miniatures indiennes du San Diego Museum of Art comprend quelque 1 450 pièces, datant du Xe au XXe siècle. Soixante-dix d’entre elles, accompagnées de différents objets – armes, bijoux et éléments architecturaux –, sont présentées au Musée des arts asiatiques de Nice. Reflet du faste des cours moghole et râjpoute, les œuvres explorent les thèmes du pouvoir et du désir.

NICE - En Inde, la conquête, en 1526, de la région de Delhi et d’Agra par le prince Bâbur marque le début de l’époque moghole, qui opère la synthèse des cultures hindoue et musulmane. Moyen efficace de propagande impériale, l’art pictural est encouragé par la cour. Tout en s’inspirant du style moghol, les écoles autochtones râjpoutes gardent leurs propres caractéristiques, avec des centres importants comme Bundî, Kotah, Bikâner, Jaipur, Jodhpur, Kishangârh, Alvâr et Jaisalmer. Elles ont laissé derrière elles quantité de miniatures raffinées où s’expriment les croyances profondes de la civilisation indienne. Datant du XVIe au XIXe siècle et conservées au San Diego Museum of Art, soixante-dix de ces œuvres mogholes et râjpoutes, mais aussi des écoles Pahâri du Pañjab et du Cachemire, sont exposées au Musée des arts asiatiques. Le parcours s’organise en trois sections, reprenant les grands thèmes développés dans les miniatures : la vie de cour, les rapports amoureux et les mythes associés aux divinités. Des armes, coupes, ornements de turban, bijoux ou éléments architecturaux, tels quatre Pieds de trône royal en ivoire ciselé ou un Jâlî, écran de grès ajouré de motifs géométriques, enrichissent l’ensemble. Le portrait du Sultan Abu’l Hasan Qutb Shâh (1672-1680), le durbâr (audiences royales) de Mahârâo Râja Sawâî Bakhtâwar Singh d’Alwâr (1800), le Retour de chasse (1596-1597) de l’empereur Akbar ou La Présentation de la nouvelle épouse (1760) sont autant d’évocations de la vie du souverain. Que ce soit au palais, à la chasse, dans ses appartements ou au temple, la supériorité intrinsèque du monarque est fortement soulignée par les peintres dans des compositions foisonnant de détails.

Toutes les nuances de l’amour
Le shringâra rasa (sentiment érotique) est le thème de prédilection des peintres de tradition râjpoute, qui s’inspirent très souvent des œuvres du poète Keshav Dâs, les célèbres Kavipriyâ et Rasikapriyâ. Keshav Dâs y décrit les amours passionnés de Krishna et Râdhâ, devenus les modèles des variations amoureuses. En témoignent Râdhâ se languit d’amour pour Krishna (1685), Krishna et Râdhâ dans les bois de Brindâban (1745-1760), une image sensuelle du couple, tendrement enlacé, reposant sur un lit de lotus roses, ou encore Femme à sa toilette observée par son amant (1760-1770), qui fait référence à l’un des épisodes des Kavipriyâ et Rasikapriyâ. Les peintres ont également puisé leur inspiration dans des poèmes comme Rasamanjarî (Le Bouquet des délices) de Bhânudatta (XVe siècle). Il en est ainsi de La Nâyikâ Muditâ-Parakiyâ (celle qui appartient à un autre), miniature aux couleurs chatoyantes réalisée vers 1660-1670 et dont les personnages, parés de bijoux, sont particulièrement raffinés. L’héroïne est heureuse car, son mari passant la nuit au loin, elle peut rejoindre son bien-aimé, qui emprunte ici les traits de Krishna.
Les diverses représentations des dieux Krishna, Râma ou Shiva mettent en évidence les rapports étroits qu’entretiennent les hommes avec les divinités. Victoire de Râma et de Lakshmana (1730) raconte les aventures de Râma, archétype du héros, vainqueur du terrifiant Râvana, pourvu d’une centaine de bras et de dix têtes, gisant, mutilé, au premier plan de l’image. Mi-homme, mi-femme, symbolisant l’unité des contraires, Krishna est le guide des mortels dans le domaine de l’amour. Il est le père de famille demeurant en compagnie de son épouse Pâvarti et de ses deux enfants, Ganesha et Skanda, dans Shiva et sa famille sur le mont Kailâsa (1825), mais aussi la divinité qui manifeste son pouvoir de destruction en dansant sur un squelette. Il incarne la dualité du monde, un concept inhérent à l’univers indien.

POUVOIR ET DÉSIR, MINIATURES INDIENNES DU SAN DIEGO MUSEUM OF ART, jusqu’au 24 février, Musée des arts asiatiques, 405 Promenade des Anglais, Arénas, 06200 Nice, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-17h. Catalogue, éditions Paris Musées/Findakly, 174 p., 34 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Dans les bras de Shiva

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