Design

Jerszy-gomatique

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2003 - 753 mots

Né à Berlin en 1968 et installé à Milan depuis 1999, Jerszy Seymour est un designer plutôt atypique, auteur d’une multitude d’objets colorés et bourrés d’humour. Une production qu’il signe d’un “Jerszy” au lettrage digne d’un graffiti.

Il y a des traumatismes qui, à l’aube de l’adolescence, peuvent marquer une vie. Se faire rouler sur le pied par une voiture en est un. C’est ce qui est arrivé à Jerszy Seymour, en 1981, sur une route du comté d’Essex, au nord-est de Londres. Vingt ans après, histoire sans doute d’exorciser une fois pour toutes ledit accident, celui-ci est devenu source d’inspiration. Le designer a en effet moulé, dans une mousse ultrarigide, une exacte réplique de l’automobile qui mit en bouillie ses orteils : une Ford Capri GTX de couleur verte. L’intérieur évidé fait désormais office de sofa ou de lit. Le “meuble” est baptisé, avec dérision, Bonnie & Clyde (1).
De l’humour, Jerszy Seymour en a à revendre. Il suffit de jeter un coup d’œil à son CV, aussi peaufiné que celui d’un diplômé d’HEC. Outre ses deux brevets, section “design”, du South Bank Polytechnic (1989) et du Royal College of Art (1994), à Londres, sont aussi mentionnées moult expériences de haut vol : “1972 : ai eu une panoplie de cow-boy pour Noël, 1975 : ai été surnommé ‘moulin à paroles’ par ma mère, 1976 : ai regardé les ‘Thunderbirds’ à la télévision (2), 1978 : ai été surnommé ‘grandes oreilles’ par mon frère, 1986 : ai fait la plonge à la cantine du personnel de l’aéroport de Heathrow”, etc.
Sa production est à l’image de ce Curriculum vitae : colorée, enjouée, décalée. Ainsi, l’arrosoir Pipe Dreams est un drôle d’animal en forme de tête d’escargot. Le plateau Captain Lovetray, lui, exhibe de larges oreilles pour mieux le saisir. Mais l’objet le plus emblématique est Free Wheelin’ Franklin, amusante desserte montée sur quatre roues tout-terrain et actionnable par télécommande. “Lorsque j’ai vu, pour la première fois, Free Wheelin’ Franklin, raconte Alice Rawsthorn, directrice du Design Museum de Londres, j’aurais pu, de manière lyrique, parler d’un travail rappelant les objets qu’Achille Castiglioni avait conçus en hommage aux ready-mades de Marcel Duchamp. À la place, j’ai ri !” Comme nous l’avons fait, d’ailleurs, lors du Salon du meuble de Milan, en avril 2002, en découvrant la dernière création de Jerszy Seymour : le fauteuil Muff Daddy, sorte de gros nounours moelleux avec ses deux longues “pattes” dans lesquelles on peut se blottir. Ce siège est disponible en trois versions : Denim ou chanvre pour l’intérieur, polyester imperméable pour l’extérieur. Mieux, on pourra bientôt télécharger son patron sur Internet (www.mymuffdaddy.com), afin de le réaliser soi-même.
Les objets de Jerszy Seymour respirent la malice. Si de grands maîtres, d’Enzo Mari à Bruno Munari, l’ont déjà précédé sur la voie de l’humour, lui a, il est vrai, été à bonne école chez Smart Design, à New York, et aux côtés de Stefano Giovannoni, le “Monsieur Loyal” de la ménagerie Alessi. Mais Seymour n’est pas qu’un nez rouge sur la bouille du design, il sait aussi être sérieux lorsque le contexte l’exige. En 1995, pour Smeg, il a imaginé Easy Clean, une plaque de cuisson à gaz plutôt astucieuse : elle n’arbore ni angles ni creux, ce qui en facilite le nettoyage. En 2001, pour Original Sin, il a dessiné le sac à main Xylo : avec son corps en accordéon, il se plie facilement, comme une lanterne chinoise.
À l’instar du Barcelonais Javier Mariscal, Seymour est plus proche des planches de BD que des schémas techniques des appareils électroménagers. Il s’est même inventé un alter ego graphique, sorte de hooligan à la vie dissolue prénommé “Ken Kuts”. Chez les verriers de Murano, le designer a gravé au couteau dans la matière encore ardente quelques épisodes de l’existence de son double. La collection – sept vases édités par la firme italienne Covo – s’appelle “Peace & Love”. La paix et l’amour… l’avenir du design tiendrait-il dans cette équation ? “Le design sera un outil d’amour, assure Jerszy Seymour, un super héros prêt à combattre pour le bien et le mal. Il fera des bras d’honneur, courra nu dans les bois et sauvera le monde.” Diantre !

(1) Du 11 janvier au 22 février, on peut admirer de visu le lit-sofa Bonnie & Clyde à la galerie Kreo, 22, rue Duchefdelaville, 75013 Paris, tél. 01 53 60 18 52.
(2) À la télévision française, cette série culte anglaise, dont les acteurs sont des marionnettes, s’est intitulée “Les Sentinelles de l’air”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Jerszy-gomatique

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