Les années à venir, un Paris sur l’avenir

Transformation du Jeu de paume, nouveaux lieux, échéances... quel futur pour l’art contemporain dans la capitale ?

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2003 - 1998 mots

L’annonce récente de la transformation
du Jeu de paume en “Galerie nationale pour l’image et la photographie”? n’a pas manqué de susciter inquiétudes et espoirs quant aux évolutions de la diffusion de l’art contemporain à Paris. Parallèlement, le futur proche devrait voir l’émergence de nouveaux lieux
dans la capitale, le “104 rue d’Aubervilliers”? et le théâtre de la Gaîté-Lyrique, deux projets portés par la municipalité. Alors que Paris a repris pied sur la scène internationale, les années qui viennent s’annoncent décisives.

PARIS - Pour l’art contemporain, l’année à venir sera d’abord une histoire de régions. “L’année des Frac”, qui fête le vingtième anniversaire des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac), verra ainsi cet été l’organisation d’expositions à Nantes, Strasbourg et Avignon, et une présentation plus spécifique de travaux photographiques lors des rencontres d’Arles. Alors, après 2002, année parisienne, marquée par l’ouverture du Palais de Tokyo et du Plateau, place à 2003, année de décentralisation ? Peut-être, sauf que la question de la diffusion de l’art contemporain dans la capitale est un sujet loin d’être réglé, comme en témoigne le projet récent de la mutation du Jeu de paume en une “Galerie nationale pour l’image et la photographie”. En englobant les missions du Centre national de la photographie (CNP) et la politique d’exposition de la Mission pour le patrimoine photographique, la nouvelle institution devrait à l’horizon 2004 constituer un pôle inédit dans le domaine de la photographie, mais aussi mettre fin à l’activité originelle du Jeu de paume, entraînant une réduction mathématique du nombre de lieux consacrés à l’art contemporain à Paris. Inauguré en 1991 dans les jardins des Tuileries, son bâtiment a depuis longtemps cessé d’accueillir la jeune création, préférant des valeurs sûres contemporaines (Errò) voire modernes (“Picasso érotique” l’an passé, “Magritte” cette année). Ce choix artistique, en partie dicté par une nécessité économique (depuis 1997, le Jeu de paume ne bénéficie plus du mécénat de l’UAP) n’avait rien d’irréversible. À peine programmée, la fin du “Jeu de paume” ne manque pas de signifier un vide, et l’hypothèse d’une galerie offerte aux générations d’artistes “intermédiaires” au sein du Grand Palais est envisagée… Pour le Centre national de la photographie (CNP), la situation est tout autre. Sous la direction de Régis Durand, l’établissement situé dans l’hôtel Salomon-de-Rothschild, rue Berryer, a su construire un discours qui place la photographie au sein de l’”image contemporaine” et constitue depuis un des principaux pôles de diffusion de l’art contemporain à Paris. L’ouverture en 2000 (lire le JdA n° 110, 8 septembre 2000) de l’”Atelier” attenant a confirmé cette orientation. Un deuxième programme de travaux, visant à la création d’un auditorium et à l’attribution de 300 m2 d’espaces d’exposition supplémentaires, était prévu afin de développer une programmation historique dont la faiblesse a été souvent reprochée à l’institution. Attaché à la promotion de la photographie, mais aussi tenu à une rigueur budgétaire, Jean-Jacques Aillagon a finalement opté pour une dissolution du CNP et un déménagement au Jeu de paume, assortis d’une mise à disposition des espaces de l’hôtel de Sully jusque-là occupés par la Mission pour le patrimoine photographique.
“Le but de ma mission était de donner à la politique de la photographie de l’État à la fois plus de lisibilité et de visibilité. Le Musée d’Orsay a désormais une galerie réservée à la photographie, la Bibliothèque nationale fait de même, la donation Lartigue va s’installer dans l’Orangerie de l’hôtel de Sully ; restait à trouver un lieu central. Parallèlement à la question de la politique d’exposition menée par la Mission pour le patrimoine photographique à l’hôtel de Sully, la solution du Jeu de paume, appuyée par Jean-Jacques Aillagon, est la plus satisfaisante pour une nouvelle donne dans le domaine de la photographie”, explique Michel Ricard. Directeur de projet pour la photographie, nommé par Catherine Tasca alors ministre de la Culture, ce dernier est en charge avec Jacques Charpillon de la préfiguration de la prochaine institution. “Bien sûr, cette décision ne résout pas tout”, poursuit-il. Ainsi, si l’articulation entre domaine contemporain et patrimonial apparaît comme l’axe central de cette nouvelle institution, invitée à s’appuyer sur des fonds préexistants (Fonds national d’art contemporain, Bibliothèque nationale, Mission pour le patrimoine photographique...) pour mener à bien sa mission, nombre de questions reste en suspens. Sur le plan administratif, le statut du nouvel établissement devrait être finalisé au cours du premier trimestre 2003. La nomination d’un directeur en charge de la programmation artistique interviendrait, elle, en avril, soit un an avant l’ouverture envisagée du lieu.

Alternance municipale
Cette “politique de refondation” intervient dans une configuration politique inédite qui voit se renouveler de façon inversée l’antagonisme gauche/droite sur lequel s’est construit le paysage culturel parisien, tiraillé entre État et Ville (Centre national de la photographie/Maison européenne de la photographie ; Musée d’art moderne de la Ville de Paris/Palais de Tokyo). “L’échange est de bonne qualité. Notre souci commun est basé sur la construction d’une offre cohérente et non pas sur la concurrence”, corrige Christophe Girard, adjoint à la Culture pour la Ville de Paris, qui rejoint sur ce point la position de la Rue de Valois. “Ainsi, poursuit-il, le Jeu de paume doit être complémentaire à l’action menée par la Maison européenne de la photographie.” Étoffé, le programme culturel de la municipalité élue en 2001 doit encore s’affirmer avant la fin de son mandat. Principal chantier, le “104 rue d’Aubervilliers”, situé dans le 19e arrondissement, qui commencera à accueillir des artistes à partir de 2006. Lieu de production pour les arts de la rue, le spectacle vivant et les arts plastiques, les anciennes Pompes funèbres répondent à un cahier des charges où se croisent le souci de proximité, la mise à disposition d’ateliers de sculpture, un espace pour les défilés de mode et des lieux de résidence de courte durée pour les artistes. La mise en place d’un espace d’exposition n’est aujourd’hui pas prioritaire. “Rien n’est arrêté, précise l’élu vert, mais cela sera davantage un lieu de travail. Mais d’ici à la mise en place finale du projet, le bâtiment sera ouvert à de nombreuses occasions, à l’image de ce que nous avons fait pour Nuit blanche.” Même politique pour le théâtre de la Gaîté-Lyrique, déjà occupé par Pierre Bongiovanni, fondateur du Centre international de création vidéo (CICV) d’Hérimoncourt, avant des travaux qui doivent débuter en 2004. Consacré prochainement aux techniques numériques dans les domaines de la musique et de l’image, l’ancien théâtre lorgne vers des structures du type du ZKM de Karlsruhe. Dès lors, on ne peut qu’espérer que seront évités les écueils de la fascination technologique. Sur un autre flanc, la Ville a confié à Robert Fleck, critique d’art autrichien et actuel directeur de l’école des beaux-arts de Nantes (Erban), la présidence d’une commission sur les commandes publiques qui accompagneront le tramway prévu d’ici à 2006 pour les boulevards des Maréchaux, au sud de Paris.

Les échéances du Palais de Tokyo
Autre dossier pour la municipalité, celui du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, dont le budget d’acquisition est passé de “600 000 à 1,8 million d’euros”, souligne Christophe Girard. Situé dans l’aile est du Palais de Tokyo, sa fermeture pendant dix-huit mois pour remise aux normes est programmée pour le début 2004. Longtemps seul véritable espace institutionnel consacré à la création contemporaine, l’Arc pourrait alors trouver refuge au Couvent des cordeliers ou au “104 rue d’Aubervilliers”. La mise en veilleuse d’une des institutions les plus dynamiques de la capitale pose par rebond la question du futur du Site de création contemporaine, inauguré en janvier 2002 dans l’aile adjacente. Celui-ci “ne règle en rien la question de la destination de la partie du Palais de Tokyo appartenant à l’État, dans un état de délabrement affligeant”, avait déclaré en octobre dernier Jean-Jacques Aillagon lors de la présentation de la stratégie immobilière du ministère. Et de préciser qu’en 2005, à la fin du mandat de ses directeurs Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, le Site de création serait soumis à un bilan : continuation, amplification avec la rénovation de nouveaux espaces ou arrêt pur et simple de l’aventure, rien n’est fixé, d’autant qu’après une ouverture remarquée la programmation du lieu ne fait pas l’unanimité. Un rattachement au Centre Georges-Pompidou n’est pas non plus écarté, tout comme l’instauration d’un dialogue entre expositions et accrochages de collections. S’il est parfois ressenti auprès du grand public comme le résultat d’une construction dans la rupture, l’art contemporain ne peut en effet se penser que  dans son histoire, surtout récente. Le renouvellement rapide des accrochages au Musée national d’art moderne ou les présentations récentes des collections du Fonds national d’art contemporain suggèrent la nécessité d’une diffusion plus importante de l’art de ces trente dernières années.
“La situation actuelle est absurde. J’ai souvent suggéré à Bertrand Delanoë une solution qui permettrait la mise en place d’un pôle triangulaire avec le Palais Galliera, le Musée d’art moderne de la Ville s’installant alors dans les deux ailes du Palais, plaide pour sa part Christophe Girard. Cela permettrait une mutualisation des moyens là où nous avons une déperdition. Bien sûr, les dispositions économiques sont encore à trouver pour un projet qui ne pourra s’établir qu’au-delà d’une mandature.” L’État céderait alors sa part du bâtiment à la Ville ? “La volonté commune de l’État et de la Ville est en tout cas de clarifier le paysage culturel.” Si, pour l’instant, Ville et État semblent s’accorder pour modifier ce qu’ils considèrent comme l’”erreur de casting” d’un bâtiment consacré à la jeune création situé avenue du Président-Wilson, aucun des deux ne se prononce pour l’abandon des missions du Site de création contemporaine. Une participation croisée est envisageable, tout comme un déménagement. “Le ministre de la Culture a clairement exprimé au cours de sa conférence de presse du 29 octobre 2002 qu’il tirerait le bilan de l’action du Palais de Tokyo, Site de création contemporaine, à la fin de notre contrat, à savoir fin janvier 2005, explique Jérôme Sans. Le projet initial prévoyait le renouvellement de la direction artistique du Palais de Tokyo tous les trois ans. Le recrutement de la nouvelle direction devait intervenir six mois ou un an avant notre départ. Nous avons prêté la plus grande attention à ne rien inscrire de définitif dans le bâtiment, mais au contraire à conserver le plus de souplesse et de flexibilité pour permettre à la prochaine direction de pouvoir s’exprimer pleinement. C’est sans doute l’une des originalités du projet que d’avoir inscrit la possibilité d’un renouvellement constant. Notre direction n’est qu’une première expérience, elle sera peut-être remise en question dans ses options par notre ou nos successeurs.” Mais une fermeture pure et simple ne manquerait pas de signifier un retour en arrière désastreux pour une ville qui a récemment repris pied sur la scène internationale.

Les surfaces et les budgets

Le nom exact de la future “Galerie nationale de la photographie et de l’image”? n’est pas encore arrêté, mais son programme immobilier est lui déjà bien fixé. Celle-ci occupera les 2 385 m2 du Jeu de paume (jardin des Tuileries, 1er arrondissement), dont 988 m2 de surfaces consacrées aux expositions dans la configuration actuelle. Un million d’euros de travaux sont prévus, mais l’estimation peut paraître un peu basse. La nouvelle institution profitera également des 300 m2 de salles d’exposition de l’hôtel de Sully (48, rue Saint-Antoine, 4e arrondissement). Quant à l’administration, elle devrait être logée dans un bâtiment proche du Jeu de paume. Côté Mairie de Paris, les entreprises contactées n’ont pas encore finalisé leur devis, et les coûts prévisionnels du réaménagement du “104 rue d’Aubervilliers”? (19e arrondissement) et du théâtre de la Gaîté-Lyrique devraient êtres connus au début de l’année. L’objectif est de conclure les deux chantiers avant 2007, année des élections municipales. Avec des ateliers et des lieux de diffusion, le futur centre de la Gaîté-Lyrique (3, rue Papin, 3e arrondissement) occupera 12 000 m2 en tout. Les anciennes Pompes funèbres du 104, rue d’Aubervilliers proposent, elles, plus de 25 000 m2 de surfaces de plancher, un espace proche de celui du Petit Palais, le Musée des beaux-arts de la Ville actuellement en rénovation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Les années à venir, un Paris sur l’avenir

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