Loin des sentiers battus

Sophie Ristelhueber renoue avec Le Luxembourg

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 24 janvier 2003 - 473 mots

À l’invitation du Musée Zadkine, Sophie Ristelhueber est revenue au jardin du Luxembourg, terrain de jeu de son enfance. Disposées dans l’ancien atelier du sculpteur, ses images au format monumental recomposent un espace et un paysage loin des sentiers battus du célèbre jardin parisien.

PARIS - La nature indicielle de la photographie occupe toujours une large place dans le travail de Sophie Ristelhueber. Alors que la menace d’un nouveau conflit dans le Golfe se fait de plus en plus pressante, la série que l’artiste avait réalisée après coup sur les lieux du conflit (FAIT : Koweit 1991) retrouve aujourd’hui un écho malheureux. La recherche d’une permanence sourde de la guerre, les traces qu’elle a laissées dans le paysage sont au centre de ces photographies et leur procure une densité loin de l’actualité. La même chose était valable pour ces grands nus cicatrisés, exhibant les empreintes d’une violence passée mais toujours visible (Every One, 1994).
Moins démonstratives, plus posées, les photographies réalisées par l’artiste à l’invitation du Musée Zadkine ne véhiculent pas moins une charge physique et affective forte. Pour répondre au lieu, l’artiste est d’abord allée chercher dans le voisinage proche de l’ancienne demeure du sculpteur, le jardin du Luxembourg. L’espace est évidemment public, mais il est tout aussi privé eu égard aux souvenirs d’enfance qu’il éveille chez Sophie Ristelhueber. Montrant des sols qu’elles semblent survoler, les quatre photographies dévoilent au final les chemins sombres d’un jardin à la française habituellement présenté dans sa lisibilité et son enjouement. Certaines laissent entrevoir une route, suivent un bitume foncé ; une autre s’attarde sur les clôtures de la pelouse. Les arceaux, saisis en contre-plongée, prennent des allures de barbelés, mais la figure humaine est, elle, toujours absente.
Les quatre tirages exposés au Musée Zadkine inventent par leur format monumental un tout nouveau paysage. Leur présence est forte, renforcée par un accrochage en diagonale. Dans l’atelier et en extérieur, ils se répondent deux à deux, obstruent la vision ou percent un espace illusionniste, quand ils ne profitent pas des œuvres avoisinantes pour développer des dispositifs qui doivent plus à la scénographie ou à l’installation qu’à la photographie.
Inscrite en rouge dans la salle d’exposition, une citation extraite du Derviche tourneur (1977, Gallimard) de Mesa Silomovic en dit davantage sur le vertige et les doutes que procurent ces images : “L’espace nous accapare. Nous ne possédons de lui que ce que l’œil peut parcourir. Mais il nous épuise, nous effraie, nous appelle, nous chasse. Nous nous imaginons qu’il nous voit, mais nous n’avons aucune importance à ses yeux, nous disons que nous le maîtrisons mais nous ne faisons que profiter de son indifférence.”

SOPHIE RISTELHUEBER, LE LUXEMBOURG

Jusqu’au 23 février, Musée Ossip-Zadkine, 100 bis rue d’Assas, 75006 Paris, tlj sauf lundi 10h-18h, tél. 01 55 42 77 20, www.paris.fr/musees/zadkine. Catalogue, textes de Jean Echenoz, éditions Paris-Musées, 10 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°163 du 24 janvier 2003, avec le titre suivant : Loin des sentiers battus

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