Contre vents et marées

La sculpture navale exposée au Palais de Chaillot

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 21 février 2003 - 528 mots

Après le Musée des beaux-arts de Québec, les figures de proue et les ornements de galères et d’arsenaux du Musée national de la marine ont rejoint les salles rénovées du Palais de Chaillot, à Paris. Rares vestiges des ateliers des arsenaux français, ces quelque soixante-dix pièces mettenten lumière le développement de la sculpture navale en France de 1650 à 1850.

PARIS - En 1662, au début du règne de Louis XIV, Colbert crée le Corps des galères, où s’échine à la rame une armada d’esclaves et de forçats. À sa tête : la Réale, dont la riche décoration symbolise les aspirations monarchiques. Surmontés d’un Génie ailé, des tritons soufflant dans des conques, des figures allégoriques des quatre saisons, des Renommées et des écussons royaux y orchestrent une somptueuse composition. Jonché sur une armature de fer imitant la proue de la célèbre galère royale, cet ensemble décoratif accueille les visiteurs du Musée national de la marine, à Paris. Quelque soixante-dix statues monumentales qui, jadis, ornaient les poupes, les proues et autres parties des navires y ont été installées. Datant de 1650 à 1850, ces vestiges que Jules Verne appelait les “génies de la mer” comptent parmi les rares pièces ayant résisté aux tempêtes ou aux dégradations du temps. À l’exception de la figure de proue Napoléon Bonaparte (1835), provenant du Musée des beaux-arts du Québec (où l’exposition fut d’abord présentée), toutes sont issues des collections du musée parisien. Ainsi les deux Chevaux marins (1830-1848) en tilleul polychrome, censés avoir orné la poupe du canot du roi Louis-Philippe, la Proue en bois peint et doré figurant une sirène (1777), originaire du canot de promenade de Marie-Antoinette, ou encore l’Angelot chevauchant un cheval marin (1810), élément du canot impérial de Napoléon Ier . Discrets et précis, les cartels détaillent les trois principales parties sculptées d’un vaisseau et fournissent quelques repères historiques.

L’imaginaire marin
À l’effigie de dieux, de héros, d’êtres hybrides ou de personnages historiques, les œuvres exposées en fin de parcours proviennent des derniers ateliers des arsenaux français. Tous ont, en effet, progressivement fermé leurs portes au cours du XIXe siècle. Les ultimes maîtres sculpteurs de renom, tels Yves Étienne Collet ou Félix Brun, respectivement à la tête des ateliers de Brest et de Toulon, ont laissé derrière eux des pièces comme Neptune (1822), autrefois peint en blanc, ou Hercule terrassant le lion de Némée (1817), sculpté en tilleul pour le vaisseau à trois ponts, Le Montebello. Quelques dessins préparatoires aux grands décors, des projets miniatures sculptés en cire et des maquettes de vaisseaux jalonnent le parcours, documents précieux dont l’exposition se montre trop souvent avare. Le propos se limite, en effet, à l’aspect décoratif des œuvres, passant sous silence leur dimension sociale ou magique. L’ornementation navale ne se limitait pas à ses ambitions esthétiques : elle était censée révéler l’identité de l’équipage, en même temps qu’elle assurait des fonctions protectrices – une partie fondamentale de l’univers marin, malheureusement occultée.

LES GÉNIES DE LA MER

Jusqu’au 2 février 2004, Musée national de la Marine, Palais de Chaillot, 17 place du Trocadéro, 75016 Paris, tél. 01 53 65 69 53, www.musee-marine.fr, ouvert tlj sauf mardi, 10h-18h. Catalogue, 166 p., 28 euros.

Le Palais de Chaillot change de cap

Après “Mille sabords”? (2001) et “Pirates”? (2002), “Les génies de la mer”? participe au grand projet culturel lancé en 1998 par Jean-Marcel Humbert, venu rejoindre Georges Prudhomme à la direction du Musée national de la marine pour revaloriser ses collections (lire les JdA n° 152, 28 juin 2002, et n° 159, 22 novembre 2002). Outre les verrières de la grande galerie d’exposition, tout juste restaurées, le musée poursuit ses travaux de rénovation (réfection du bâtiment, augmentation de 1 500 mètres carrés des surfaces d’exposition) tout en restant ouvert au public. Installé également au Palais de Chaillot, le Musée de l’Homme, dont l’avenir est aujourd’hui incertain, est beaucoup moins chanceux que son voisin. Dans un état de délabrement total, la Galerie d’Afrique du musée ferme ses portes le 2 mars prochain, tandis qu’une partie du fonds de sa bibliothèque (livres et périodiques) devrait quitter Chaillot, malgré les vives protestations des membres du musée. Avec les collections d’art africain, ces ouvrages rejoindront le Musée du quai Branly dont l’ouverture est prévue en juillet 2005. Jusqu’à cette date, aucun accès tant aux œuvres qu’aux documents n’est possible.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Contre vents et marées

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