Architecture

Promenade en ville

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 21 février 2003 - 756 mots

Le 23 janvier, le président de la République Jacques Chirac inaugurait, à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire du traité franco-allemand de l’Élysée, la nouvelle ambassade de France à Berlin créée par Christian de Portzamparc. Ce dernier démontre là, sur une parcelle grande comme un mouchoir de poche, une capacité à dilater l’espace et à repousser les limites d’une éblouissante virtuosité.

Miraculeusement, les bombardements intensifs de Berlin en 1945 ont épargné la porte de Brandebourg. Tout autour se trouvera un immense no man’s land, qui le restera pendant plus de cinquante ans. Il faudra attendre 1989 pour que le mur s’effondre et que disparaisse le fameux check point Charlie. De l’ancienne ambassade de France installée sur la Pariser Platz, il ne restait évidemment rien, hormis un ensemble de deux chiens en bronze et un jeune garçon assis en pierre, épargnés par les violences de la guerre et auxquels Portzamparc redonne vie dans son nouveau bâtiment.
D’abord, la parcelle. Un terrain en “L” dont la superficie totale n’est que de 4 675 m2. En réalité, il s’agit d’un long couloir qui part de la Wilhelmstrasse et au bout duquel, sur la gauche, s’inscrit un vaste dégagement sur la Pariser Platz. Ensuite, un programme lourd puisqu’il s’agit d’édifier ici la bagatelle de 18 000 m2 et d’abriter l’activité de 230 personnes. En effet, l’ambassade de France à Berlin est la deuxième en importance après celle de Washington, confirme l’ambassadeur Claude Martin.
Puis, l’architecture. Avec, sur la Pariser Platz, une façade “sévère mais chaleureuse”, comme l’écrit le Tagesspiegel du 30 janvier 2003. La façade est effectivement un peu austère, mais s’inscrit dans la stratégie et la réglementation berlinoises de “reconstruction critique”, en s’inspirant librement du grand Schinkel. Si le socle, les corniches, l’attique, les matières minérales, les fenêtres de la façade sont traités de façon stricte et franche, les ébrasements dissymétriques lui donnent un rythme nerveux. Des ébrasements qui, on le verra plus tard, se transforment à l’intérieur, dans les grands salons de réception, en niches lumineuses assonantes du plus élégant effet.
Enfin, la traversée. Depuis la Wilhelmstrasse, on emprunte la rue intérieure. Large de six mètres, d’une verticalité quasi vertigineuse, tendue de pavés parisiens et bordée d’un long et haut mur de béton strié, elle évoque irrésistiblement Paris et, plus étrangement, une Italie pré-Renaissante. L’aspiration agit et, au fil de l’avancée, se révèle cette ambassade dont il apparaît que la vie est intérieure. Un semis de bâtiments divers qui semblent comme une poignée d’osselets qu’une main malicieuse aurait jetés dans une boîte à gants... Et que ponctuent les étapes paysagères (pour un total de 2 350 m2) orchestrées avec une infinie subtilité par Régis Guignard, qui mêle ici graminées et bouleaux blancs de Chine, lierre et houblons, arbustes et glycines, cour anglaise et jardin vertical.
Au fur et à mesure de ce qu’il faut bien nommer une “promenade en ville”, il devient évident que la diversité des paysages, la multiplicité des situations, la pluralité des expressions constituent, ici, l’essence même du travail d’écriture architecturale de Christian de Portzamparc. Une écriture qui, au même titre que la littérature, joue avant toute chose de la puissance d’évocation.
Avec, notamment, des jeux de lignes, verticales et horizontales qui creusent, “expansent”, repoussent les limites, créent des effets de masques et des profondeurs de champ d’une virtuosité et d’une poésie en tous points confondantes. Se multiplient, dès lors, découvertes, échappées, plongées, contre-plongées. On s’émerveille de ce que ce “couloir” soit inondé de lumière, et qui plus est de lumière de premier jour, tout comme le jardin d’honneur, qui, semblant suspendu, se découvre jardin en pleine terre.
Le travail effectué sur les intérieurs par Elizabeth de Portzamparc est de la même veine. Lors de l’inauguration, le président de la République a qualifié l’ensemble d’”élégant”. Matisse y aurait sans doute trouvé l’apothéose de son “luxe, calme et volupté”.
Cette architecture-là fait une belle place à l’art puisque rien moins que François Morellet, Georges Noël, Niele Toroni, Martin Wallace et même Zao Wou-ki ont été conviés à y participer dans le cadre du 1 %. Les œuvres de Gilles Aillaud, Pierre Alechinsky, Monique Frydman, Hans Hartung, Yves Klein, Joan Mitchell ou Claude Viallat, prêtées ou déposées par le Fnac et le Mobilier national, y ont, quant à elles, été disposées au fil de la promenade, outre ses propres œuvres mobilières, par Elizabeth de Portzamparc, là encore avec subtilité.
En bref, une promenade riche en rebondissements, en surprises, en sensations et en émotions. Et cette question persistante : “Comment en si peu d’espace, a-t-il fait ?”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Promenade en ville

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