La peinture vénitienne portée par sa couleur

En dehors des grands maîtres, les amateurs se détournent des grandes compositions religieuses

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 1208 mots

Les maîtres de la couleur bénéficient depuis toujours de l’engouement des amateurs de peintures anciennes. Mais la qualité et l’état de conservation déterminent le prix des grands peintres vénitiens de la Renaissance. Pour les seconds couteaux et les suiveurs, les acheteurs, plus exigeants, boudent les sujets ennuyeux.

PARIS - La peinture des maîtres vénitiens suit l’évolution du marché de la peinture ancienne : les beaux tableaux n’ont jamais été aussi rares et chers. Titien, Tintoret, Véronèse sont des noms qui font rêver les collectionneurs, mais le marché reste très peu fourni en toiles de qualité. “La peinture vénitienne, avec ses tons chaleureux, est très estimée. Or les tableaux de grande décoration ont peu bougé des collections princières et ecclésiastiques ou sont directement passés dans les musées”, explique Elvire de Maintenant, spécialiste de la peinture ancienne chez Christie’s. La marchandise disponible en vente publique demeure le plus souvent des œuvres de commandes bourgeoises, principalement des portraits. “Tintoret en a réalisé un bon nombre, poursuit la spécialiste. Il est assez courant d’en trouver, au moins une fois par an, aux enchères. Malgré leur qualité, ils sont un peu austères et leur valeur n’est pas élevée, autour de 30 000 euros.” Ce prix peut augmenter en fonction des critères classiques qui régissent le marché : l’esthétique du modèle, éventuellement sa connaissance, et la qualité d’exécution de la toile. Ainsi, un petit portrait (57 x 50 cm) d’un jeune garçon en buste d’une famille de doges vénitiens par Tintoret a été adjugé 162 000 euros le 23 mai 1997, à New York, chez Christie’s. La maison de ventes a cédé pour 226 000 euros, le 25 janvier 2002 à New York, un autre tableau de l’artiste, Portrait d’un gentilhomme. “Il était de grande qualité et en bon état de conservation”, souligne Elvire de Maintenant. Les portraits vénitiens n’échappant pas à la fatale raréfaction des œuvres, acheteurs privés et musées scrutent également les pièces de premier choix de suiveurs connus, dont les prix dépassent alors les 150 000 euros. “Les portraits sont des sujets plutôt à la mode, assez appréciés des Anglo-Saxons, estime Nicolas Joly, du département des peintures anciennes chez Sotheby’s. Le 31 octobre 2002 à Londres, chez Sotheby’s, un portrait d’homme barbu de l’école vénitienne, daté vers 1540 et estimé autour de 10 000 euros, s’est envolé à 180 000 euros car la rumeur de son attribution à Lorenzo Lotto avait couru. C’est déjà un prix très élevé, car si la toile avait été certifiée de Lotto, on l’aurait estimée 100 000 euros, soit moins que son prix d’adjudication, mais, le mythe de la découverte aidant... !” Les beaux portraits ont donc la cote, comme en témoigne cette autre enchère : un Portrait d’un noble en costume noir avec une collerette par Moroni, un des leaders du genre, a été adjugé 290 000 euros le 7 juillet à Londres, chez Christie’s. Et pour un rare tableau signé Titien, les enchères peuvent s’envoler. Ainsi, le 3 juillet 1997 à Londres, chez Sotheby’s, le portrait par le peintre d’un amiral vénitien en armure avec un manteau rouge s’est vendu 1,8 million d’euros. “La toile était très austère, commente Nicolas Joly. Mais pour les très grands noms, les amateurs sont là.” Et pour le rarissime Titien tout particulièrement ! En 1991, chez Christie’s à Londres, une grande et superbe peinture du maître, Vénus et Adonis (160 x 196 cm), estimée 1,5 à 2,3 millions d’euros pour une vente du 13 décembre, a été retirée de la vacation peu de temps auparavant. La toile, repérée tardivement par une institution, avait en fait donné lieu in extremis à une vente privée. La National Gallery de Londres s’est portée acquéreur de ce lot de provenance prestigieuse (la collection de la reine Christine de Suède en 1662, puis celle des ducs d’Orléans) pour un montant non communiqué, mais proche de l’estimation portée au catalogue de vente. “Aujourd’hui, tout laisse à penser que si un chef- d’œuvre de ce genre apparaissait aux enchères, son prix pourrait être plus élevé que jamais, estime Elvire de Maintenant. Malheureusement, des Titien, il n’en repassera plus beaucoup sur le marché.”
Les amateurs reportent alors souvent leurs choix sur d’autres grandes signatures, mais avec une sélectivité accrue concernant la qualité. Pour l’expert de Christie’s, “depuis dix ans, il y a une plus grande dichotomie de prix entre un tableau de premier choix et une peinture de qualité moyenne”.
Dans la production courante des artistes vénitiens, les œuvres mythologiques, plus souriantes, séduisent davantage que les tableaux religieux. “Les acheteurs font plus attention au sujet lorsqu’il s’agit d’une composition exécutée par un suiveur ou issue du cercle d’un artiste”, remarque l’expert parisien Chantal Mauduit.
Deux importantes scènes mythologiques galantes de 102 x 127 cm de Jacopo Amigoni (1675-1752), un bon suiveur vénitien, Vénus et Adonis et son pendant Erigone et Bacchus, ont été bien vendues, respectivement 300 000 euros (le 20 juin 1989 à Strasbourg) et 220 000 euros (le 17 juin 1997 à Évreux). “Les acheteurs sont aussi de plus en plus exigeants sur l’état de conservation”, ajoute-t-elle. Cela explique les grandes amplitudes de prix entre les tableaux d’un même artiste, et justifie parfois les invendus. Mais quand le must passe en vente, le public répond. Chantal Mauduit se souvient d’un authentique tableau du peintre d’histoire Bassano, proposé à Paris chez Ader-Tajan le 20 décembre 1994 et qui fut préempté par le Musée du Louvre pour 1,8 million d’euros, un gros prix. “Le sujet intime et inhabituel représentait deux chiens au repos se détachant sur un ciel bleu. Dans un très bel état de conservation, ce tableau magnifique, dont on a retrouvé le commanditaire, changeait des grandes compositions décoratives de Tintoret et Véronèse.”
Le dernier Véronèse vendu est un élément de décor, probablement pour un plafond, passé chez Sotheby’s le 25 janvier 2001 à New York et pour lequel le marteau est tombé à 400 000 euros. Or, pour Nicolas Joly, “il n’y a pas eu de Véronèse majeur sur le marché depuis des années !”
Concernant l’œuvre de Tintoret, les prix sont étonnamment très divers. “La qualité des œuvres varie selon le degré de participation de l’atelier du maître”, précise l’expert de Sotheby’s. La Résurrection de Lazare, un beau tableau de Tintoret dans des tons brun, rouge et jaune, quoique de modestes dimensions (69 x 79 cm), a été emporté à près de 900 000 euros (frais inclus) le 19 mai 1994 chez Sotheby’s, à New York. “C’était un sujet fort et qui est parti pourtant à une période où l’on vendait mal”, insiste Nicolas Joly. Par comparaison, le 28 janvier 1999, toujours à New York et chez Sotheby’s, une Sainte famille par Tintoret a été adjugée 95 000 euros. “Bien que répertorié, le tableau n’était pas de grande qualité”, reconnaît l’expert.  Les amateurs éclairés et fortunés, les marchands et les musées vont principalement vers des toiles de grande qualité des plus importants artistes vénitiens de la Renaissance, dont la rareté fait monter les enchères de façon exponentielle.

Les peintres vénitiens

Tintoret (1518-1594) Titien (mort en 1576) Véronèse (1528-1588) Jacopo Da Ponte, dit Bassano (1510-1592) Lorenzo lotto (1480-1556) Alessandro Bonvicino Moretto Da Brescia (1498-1554) Giovanni Battista Moroni (1520-1578) Palma le Vieux (1480-1528) Palma le Jeune (1544-1628) Le Pordenone (1483/84-1539) Girolamo Di Romano, dit Romanino (1484/87-1559/61)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : La peinture vénitienne portée par sa couleur

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque