Le XXe siècle arrive en force

Tefaf s’ouvre plus à l’art moderne et actuel

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 1109 mots

Depuis une dizaine d’années, l’art du XXe siècle fait une incursion de plus en plus prégnante dans les grands salons d’antiquité internationaux. Les sentinelles feutrées de la Tefaf ont ainsi succombé à l’arrivée des marchands spécialisés dans l’art moderne. Maastricht n’aurait pu conserver son statut envié de baromètre du marché sans représenter un des domaines les plus cotés actuellement. L’arrivée cette année de la Sperone Westwater Gallery de New York, venant rejoindre des piliers comme Waddington et Malborough, renforce encore le poids de ce secteur.

Avec trente-trois galeries à l’affiche cette année, le secteur moderne de la Tefaf, dirigé par le galeriste britannique Leslie Waddington, a gagné en visibilité et en qualité. Bien qu’également touché par la raréfaction, ce domaine reste encore à même d’alimenter un flux régulier de transactions. Les organisateurs de la Tefaf l’ont bien compris lorsqu’ils lui ont ouvert leurs portes, à l’orée des années 1990. Dès 1988, une poignée de marchands locaux exposait l’art du XXe siècle de manière informelle au milieu des autres spécialités. La section ne s’est constituée qu’en 1995. Elle compte alors dix marchands internationaux contre onze hollandais. En huit ans, l’évolution a profité aux galeries internationales, au nombre de vingt-six cette année contre sept locaux. À l’instar de la Foire de Bâle, qui se doit de préserver un certain quota de galeries suisses – dont certaines déparent parfois l’ensemble –, le secteur moderne de Maastricht n’est pas exempt de seconds couteaux. La section se bonifie prudemment, sans coups de force. “J’ai modifié lentement le profil des galeristes. Il y a toujours aujourd’hui des marchands un peu faibles. J’essaie petit à petit de changer deux ou trois marchands par an, en ménageant les susceptibilités. La section peut encore s’améliorer, mais elle est déjà devenue importante. Un cinquième des visiteurs de Maastricht viennent aujourd’hui pour l’art moderne”, estime Leslie Waddington. “Cette section était très difficile au départ car la qualité en était absente. Le vrai tournant s’est opéré depuis cinq ans. Je crois que cette année sera la meilleure de toutes”, renchérit la galeriste américaine Barbara Mathes, dont la première participation remonte à treize ans.

Résolument classique
La section moderne conserve une orientation résolument classique. La galerie canadienne Landau Fine Art présente ainsi sur ses cimaises un rare Picasso tardif, Les Dormeurs (1967), récemment acquis auprès de la succession de Daniel-Henry Kahnweiler. Restée en possession du célèbre marchand jusqu’à son décès en 1979, cette œuvre, proposée pour 10 millions de dollars (9,28 millions d’euros), n’avait jusqu’à présent pas été mise sur le marché. À côté de cette pièce de choix siègeront deux toiles de Max Ernst, notamment Épiphanie, acquise pour près d’un million de livres sterling (1,48 million d’euros) le 3 février dernier chez Christie’s à Londres. Ce paysage hallucinatoire obtenu par frottage est l’une des dernières œuvres peintes par Max Ernst en 1940, avant son départ pour les États-Unis. Fort de ses récentes envolées en ventes publiques, Max Ernst aura aussi les honneurs de la galerie Cazeau-Béraudière. Cette enseigne parisienne soumet aux amateurs du surréalisme les Arbres minéraux, arbres conjugaux, autre toile de 1940 dans un style proche de l’Épiphanie. Également sise à Paris, la galerie Odermatt-Vedovi inaugure sa participation avec une huile sur papier, Oiseau-lumière (1944) par Wilfredo Lam, un dessin de 1945 de Roberto Matta et une huile sur toile de René Magritte de la période Renoir. Magritte aura aussi les faveurs des Waddington Galleries (Londres), qui proposent une toile de 1936, L’Illumination, et une autre de 1966, La Recherche de l’absolu, plus proche du goût actuel des collectionneurs. Présentée chez Sotheby’s le 4 février dernier, l’Illumination n’a été acquise par le marchand qu’après la vente. L’estimation que proposait alors la maison de ventes était de 500 000 à 700 000 livres (741 440 à 1,37 million d’euros).
L’art contemporain par interstices
L’art allemand et autrichien sera aussi dominant. Nouvel exposant de la Tefaf, la galerie Beck & Eggeling de Düsseldorf présente une toile d’August Macke de 1911, Jeune fille cousant, pour 920 000 euros, ainsi qu’un très beau paysage d’Edvard Munch de 1912. La galerie new-yorkaise Leonard Hutton annonce Round Dance, une peinture d’Émil Nolde de 1909, et deux aquarelles de Paul Klee. Choix qu’on peut imaginer judicieux puisque, selon Artprice, les prix des artistes des groupes Die Brücke et Der Blaue Reiter ont grimpé de 25 % en 2002.
Autre tendance souveraine du marché, le pop art figure en bonne place sur le stand de la galerie Jablonka (Cologne). Celle-ci consacre la moitié de son espace à Andy Warhol. Elle met notamment à l’honneur Four Foot Flowers, une sérigraphie de 1964 de très grand format (122 x 122 cm) au regard des habituelles Flowers. Un exemplaire similaire, de mêmes dimensions, s’était vendu chez Christie’s le 14 mai 2002 pour 3,4 millions de dollars. Il faudra compter cette fois 3,8 millions de dollars pour emporter ces hibiscus géants, en mains privées depuis le début des années 1980. Les œuvres de cette veine ont observé une nette progression sur le marché, puisque les prix stagnaient en 1998 autour de 500 000 dollars.
Les galeries Malborough (Londres-Zurich) et Applicat-Prazan (Paris) arborent des fanions nationaux. La première marque ses préférences pour l’école de Londres, avec Francis Bacon et Frank Auerbach. Bernard Prazan aura quant à lui à cœur de réhabiliter encore et toujours l’école de Paris des années 1950. Sa galerie viendra avec une grande composition de Jean Fautrier de 1959 ainsi qu’un des six derniers tableaux abstraits de Maurice Estève. Pour courtiser le public néerlandais, le galeriste parisien a aussi prévu dans son escarcelle trois huiles de Geer van Velde.
L’art contemporain apparaît, par interstices, chez les galeristes, panachant volontiers modernes classiques et créateurs plus récents. Au milieu de ses habituels Picasso et d’un très beau Rouault de la série des Pierrot, Leslie Waddington présente une photographie d’un élève des Becher, Thomas Struth. Annely Juda (Londres) mêle des sculptures de Naum Gabo et de Barbara Hepworth à des aquarelles récentes de David Hockney. La galerie Barbara Mathes (New York) arbore, à côté d’une peinture ancienne d’Ellsworth Kelly, des œuvres des années 1990 de l’artiste allemand Gerhard Richter. La galerie Sperone Westwater (New York) combine une sélection de Piero Manzoni et de Lucio Fontana, que la vente d’”Italian Art” de Sotheby’s en octobre dernier a conforté dans leur cote ascendante, à des créations récentes de Bruce Nauman, Franck Stella, Richard Tuttle et Malcolm Morley. Elle apporte également une toile aux tons cramoisis de Jean-Michel Basquiat, Parts, datant de 1984. “Je doute qu’un Basquiat ait jamais franchi les portes de la Tefaf. Le développement logique du secteur serait d’ouvrir davantage à l’art contemporain”, estime Angela Westwater. On s’y achemine sans doute, mais piano, piano.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : Le XXe siècle arrive en force

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