Paroles d’artiste

Francis Alÿs : « L’essai, l’intention, le processus sont moteurs »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2007 - 732 mots

Au Hammer Museum, à Los Angeles (Californie), Francis Alÿs [né en 1959 à Anvers (Belgique), installé à Mexico depuis plus de vingt ans] a conçu une exposition fondée sur l’idée de répétition, dans le sens de « préparation ». S’y déploient quelques peintures, mais surtout de nombreux films accompagnés d’un important matériel préparatoire, parcourant deux décennies de travail.

Votre exposition s’articule autour la notion de répétition, qui traverse nombre des œuvres présentées ; le film Politics of Rehearsal (2005-2007) affirme même que « Tout est une répétition ». Qu’entendez-vous précisément par ce terme et pourquoi cette idée est-elle fondamentale dans votre réflexion ?
Ce qui m’intéressait, c’était qu’à travers la répétition la narration pouvait être indéfiniment repoussée, rappelant en cela les scénarios latino-américains dans lesquels la modernité est constamment retardée. Le recours aux mécanismes de la répétition fut surtout une méthode utilisée afin de rendre physique à la fois ce constant report et le fait d’éviter la conclusion.

Avec des œuvres telles Rehearsal I (1999-2003), qui montre une voiture monter et descendre une côte sans jamais parvenir au sommet, Rehearsal II (2001), où une strip-teaseuse ne finit jamais son numéro nue, ou Song for Lupita (1998), où la même action est indéfiniment répétée dans les deux sens, on a l’impression que la répétition signifie l’impossibilité de l’achèvement même de l’œuvre. Pour quelles raisons ?
Pour les mêmes raisons que Satie lorsqu’il a écrit la partition des Vexations : parce que c’est une œuvre magnifiquement inachevée et qu’en même temps chaque note est en elle-même complète.

Est-ce une façon de préserver une possible réversibilité des choses ?
Le temps n’est pas réversible alors qu’un concept l’est. Un film d’art combine les deux éventualités.

Les notions d’apprentissage mais aussi d’échec ou de succès apparaissent à plusieurs endroits. Sont-elles importantes pour vous ?
Je ne conçois pas vraiment ces œuvres en termes d’échec ou de succès. Elles sont plutôt une suite de tentatives. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’essai, l’intention, le processus. C’est ce que je considère être leur moteur. Cette tentative est constitutive d’un véritable espace de production, elle est le champ d’opérations d’un développement réel ou réaliste.

Vous semblez adopter un positionnement critique vis-à-vis de l’idée de développement économique telle qu’il a été conduit en Amérique latine et en particulier au Mexique. Votre célèbre action Quand la foi déplace des montagnes (2002) est même qualifiée dans une note préparatoire de « parabole de la faible productivité »...
Je ne suis pas d’accord. Quand la foi déplace des montagnes est en effet une parabole de la faible productivité, une parodie du concept occidental de progrès, qui illustre de manière épique l’effet des réformes minimales réalisées par des efforts collectifs. L’intention ne fut pourtant jamais de défendre l’idée de passivité, mais de concentrer en un même espace et en un même temps la logique d’une économie qui, bien que dotée de toutes les caractéristiques de la modernité, résiste aux attentes de la modernisation et du néolibéralisme, ou ne les comble jamais. Il s’agissait de déformer le dogme de l’« efficacité ». La maxime de l’œuvre, « effort maximum, résultat minimum », illustre la disproportion ridicule entre l’effort et l’effet, en référence à une société où des réformes minimes sont accomplies au prix d’énormes efforts. Mais cette action veut aussi suggérer une alternative aux modèles importés de développement, au concept linéaire de progrès tel qu’il est impliqué par la modernité. Je pensais à la devise d’Hélio Oiticica, « De l’adversité, nous vivons », et comment elle peut être comprise soit comme une description du rôle de la culture dans le contexte socialement divisé de l’Amérique latine, soit comme la confession avouée de l’artiste latino-américain qui tire parti de ces circonstances pour en faire la matière première de son art.

Vous attachez une grande importance au contexte de création puisque vous exposez souvent aux côtés de vos œuvres des documents préparatoires (croquis, notes, films tests...). Est-ce par souci pédagogique ?
Ce qui est accroché au mur ou projeté est en général la conclusion d’un long processus. S’il s’agit d’un événement ou d’une performance, ce résultat constitue les preuves ou les matérialisations de toute une série de démarches et de discussions préliminaires. C’est un peu comme s’il s’agissait d’un effet dont il faudrait exposer la cause.

FRANCIS ALŸS. POLITICS OF REHEARSAL

Jusqu’au 10 février 2008, Hammer Museum, 10899 Wilshire Bd, Los Angeles, tél. 1 310 443 7000, www.hammer.ucla.edu, tlj sauf lundi 11h-19h, jeudi 11h-21h, dimanche 11h-17h. Catalogue, coéd. Hammer/Steidl, 144 p., DVD inclus, 32 euros, ISBN 978-3-86521-474-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°271 du 14 décembre 2007, avec le titre suivant : Francis AlÁ¿s

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