Révolution de palais

Le Palais de Tokyo s’empêtre dans l’activisme

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 21 mars 2003 - 652 mots

Jouant la carte de l’engagement et de la contestation, “Hardcore”?, l’exposition actuelle du Palais de Tokyo à Paris sur un “nouvel activisme”?, s’empêtre dans un propos flou et achève des œuvres déjà faibles par un accrochage catastrophique.

PARIS - Sur un mur entier du Palais de Tokyo, les graffitis regroupés par Michel Dector et Michel Dupuy sont là pour “ramener les cris de la ville au cœur de l’institution”, comme l’explique le cartel. À moins que l’institution n’anesthésie toute contestation... Après tout, peu importe : la critique du musée ou de l’espace institutionnel comme tour d’ivoire ou cimetière a été suffisamment rabattue pour éviter d’en dire davantage. Ce travail apparaît finalement très glamour au-dessus du restaurant de l’établissement. Avec les voitures calcinées de Sislej Xhafa et les détonations de revolvers captées par Santiago Sierra lors d’un réveillon mexicain, le porno kitsch et cybernétique de Shu Lea Cheang, les gyrophares de Kendel Geers et l’enregistrement d’un concert de vieux punks italiens invités à la villa Médicis par Gianni Motti, le Palais de Tokyo ne lésine pas sur les moyens pour mettre l’ambiance. Bon élève du vandalisme, Henrik Plenge Jakobsen a, lui, fait des trous dans les cimaises, juste à la bonne taille pour que les gens puissent passer. Un peu comme dans la mythologie rock, tout est dans l’attitude et cela tombe bien : l’exposition s’appelle “Hardcore”. Après le rock américain énervé des années 1980 (Dead Kennedy’s, Black Flag…), la techno dure des free-parties et le rap, la création contemporaine adopte donc un terme aussi partagé que vague, mais synonyme d’une certaine intransigeance.
Sous-titrée “Vers un nouvel activisme”, la manifestation ravive la problématique de l’engagement de l’art. “Fout la merde et s’il le faut, fout ta cagoule. Qu’ils essaient pas de me faire croire qu’aujourd’hui le monde est cool. Hardcore, et critique est la situation dans le monde [...] Hardcore, comme si je faisais sauter une bombe à Disneyland [...] Hardcore, des keufs, les lois dans ce pays où le cevi sévit [...] Hardcore, des scènes de cul à la télé avant minuit [...] Hardcore, aujourd’hui la Yougoslavie n’est plus [...] Hardcore, d’inégales répartitions des richesses mondiales [...] Hardcore, guerres mondiales et bientôt le 3e tour ?”, chantait en 1998 Ideal J, groupe phare de la scène rap française. Cinq ans plus tard, les damnés de la terre en ont toujours marre d’être debout et le programme entier de l’exposition tient dans ces quelques lignes. Alors, si l’auteur de ces lignes ne peut que souscrire à la contestation de la politique sécuritaire, du racisme, ou de l’“horreur économique”, dont il est question ici, il est difficile d’accepter des recours par trop fréquents au spectaculaire, des effets de provocation basique et un recyclage des formes habituelles de cette contestation (affiches, slogans...). Construit dans un brouhaha visuel et sonore, l’accrochage empêche toutes velléités de contre-proposition, quand il ne se complaît pas dans des rapprochements scabreux : Feedback, le Boeing missile et phallique d’Alain Declercq, est ainsi posé au milieu de la séquence “sexe” de l’exposition. De là émerge le plus impressionnant (la raffinerie à Colza des AAA Corps), ou le plus dur : Santiago Sierra monnaye des corps comme de la marchandise, paye des “filles de l’Est” pour se faire asperger de polyuréthane (Esperando de poliuterano, 2002), des travailleurs immigrés pour faire du land art (3 000 huecos de 180 x 70 x 70 cm [“3 000 trous de 180 x 70 x 70 cm”], 2002), des chanteurs de rue aveugles pour se produire dans un centre d’art (Dos Maraqueros, 2002). La démonstration aurait toutefois été convaincante si l’artiste avait pris soin d’afficher la valeur de ses grandes photographies noir et blanc, déclarant clairement la plus value faite sur le dos de ses “travailleurs de la performance”.

HARDCORE

Jusqu’au 18 mai, Site de création contemporaine, Palais de Tokyo, 31 avenue du Président-Wilson, 75008 Paris, tlj sauf lundi, 12h-24h. Cat. éditions Cercle d’art, 208 p., 38 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : Révolution de palais

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