Marc-Olivier Wahler : SI tu n’existais pas...

Entretien avec Marc-Olivier Wahler, directeur du Swiss Institute de New York

Le Journal des Arts

Le 21 mars 2003 - 867 mots

Le SI (Swiss Institute - Contemporary Art), à New York, présente jusqu’au 26 avril l’exposition \"Extra\" réunissant artistes français et suisses tels que Virginie Barré, Olivier Blanckart, Stéphane Dafflon, Wim Delvoye, Daniel Firman, Fischli & Weiss, Sylvie Fleury, Gianni Motti, Bruno Peinado, Stéphane Sautour et Roman Signer. Comment une association pour la promotion de la culture suisse (cf. encadré) est-elle devenue un centre d’art contemporain de renommée internationale qui présente des artistes de tous les horizons ? Marc-Olivier Wahler, directeur artistique du SI, explique ses choix et sa politique d’exposition.

Pourquoi avoir voulu limiter la programmation du SI à l’art contemporain ?
Dès ma prise de fonctions, en octobre 2000, j’ai fait valoir l’idée que l’art contemporain, loin d’être une activité autarcique, induisait naturellement une ouverture à d’autres domaines : la littérature, la musique, la danse... Ainsi, notre exposition réunissant Ugo Rondinone, Urs Fischer et John Giorno était une manière de confronter les pratiques de l’art contemporain et de la poésie. Qui plus est, à New York, il faut avoir une identité précise pour exister. Le SI bénéficie aujourd’hui d’une identité forte en se profilant comme un centre d’art contemporain. Je pense que cela a été possible parce que le SI est une association indépendante dont les fonds proviennent pour deux tiers du privé. Évidemment, ceci étant, notre budget, plutôt modeste, fluctue beaucoup en fonction de l’économie générale et c’est un combat de tous les jours pour trouver de l’argent. Mon travail est un grand travail de conviction ; il s’agit d’avoir des idées radicales et un peu folles et de les faire passer.

Comment définissez-vous votre programmation ?
Pour moi, diriger un centre d’art contemporain consiste d’abord à se demander comment l’adapter continuellement pour rendre compte de la pratique artistique actuelle. Cela ne m’intéresse pas de simplement aligner les bonnes expositions les unes après les autres. Travailler un programme participe d’une obsession. Je n’irais pas jusqu’à dire que le commissaire d’exposition est un artiste, mais il s’agit d’élaborer un langage d’exposition. J’ai conçu le programme actuel sur quatre ans, suivant une problématique qui m’intéresse, à savoir : quels sont les rapports, les liens, les tensions entre l’art et la réalité ? Aujourd’hui, par exemple, la physique quantique a démontré que les univers parallèles peuvent exister. S’ils existent au niveau quantique, pourquoi pas à d’autres niveaux ? C’est une question qui préoccupe autant les physiciens et les philosophes que les artistes. Je suis notamment passionné par ce transfert constant entre ces univers parallèles que sont l’art et la réalité. En 2001, nous avons transformé le SI en bureau de vote avec Fabrice Gygi, en casino illégal avec Sislej Xhafa, en lieu de visite du pape avec Gianni Motti... L’aboutissement de cette réflexion est l’exposition “Extra”. Aujourd’hui, l’art est une plate-forme qui peut mener à tout, à la physique quantique comme à la proctologie, en passant par le stand de tir et le concours de iodle...

Quelle est la réaction du public face aux jeunes artistes européens exposés au SI et souvent inconnus aux États-Unis ?
L’exposition d’Éric Hattan, par exemple, a été chroniquée dans le New York Times, ce qui est extraordinaire pour un artiste qui n’avait jamais exposé aux États-Unis. Cela signifie que le SI véhicule une image de qualité. Je pense qu’une des fonctions premières d’un centre d’art est de promouvoir la jeune création. Mais pour le public new-yorkais, cela revient au même que l’on expose un très jeune artiste inconnu de tout le monde ou un artiste comme Gianni Motti, déjà connu en Europe. En revanche, quand on expose un artiste inconnu après Jim Shaw ou Ugo Rondinone, le travail du premier en est valorisé, car il est mis sur le même plan que celui de plus renommés. L’objectif est justement d’acquérir une aura internationale pour que de jeunes artistes puissent en bénéficier.

Maintenant que vous avez atteint l’objectif de faire du SI un centre d’art contemporain reconnu, quel est le prochain défi pour le lieu ?
C’est d’étendre l’action du SI et de multiplier les lieux d’exposition. Ce travail a déjà commencé, notamment avec l’exposition “Liquid Sky” au FRAC Bourgogne, à Dijon, liée à une autre au SI. Partant du constat que le lieu d’art peut être situé n’importe où, nous avons pensé le catalogue d’“Extra” comme tel, en offrant à vingt-huit artistes un espace libre sur dix à douze pages. Si le lieu d’exposition peut s’activer quel que soit l’endroit, que devient dès lors la notion d’exposition ? Il y a là un challenge qui m’intéresse. Pour l’exposition de Jutta Koether et Steven Parrino, fin 2002, nous nous sommes demandés à quoi pourrait ressembler le Cabaret Voltaire aujourd’hui. Leur installation a servi de scène à une série de concerts de “noise”. Chaque fois que j’invite un artiste, je lui demande de sortir de son confort et de collaborer autant que possible avec un musicien, un cinéaste, un chauffeur de taxi... On parle aujourd’hui beaucoup d’événement ou de projet au détriment de l’exposition, qui a des résonances un peu vieillotes. Pour ma part, je pense vraiment en terme d’exposition, mais toujours avec l’idée de remettre en question son mode de fonctionnement.

EXTRA

Jusqu’au 26 avril, SI, 495 Broadway, 3e étage, New York, tél. 1 212 925 2035.

Le SI, un lieu singulier à New York

Par son histoire et son fonctionnement, le SI, à New York, est un lieu atypique. Son statut est celui d’une association américaine à but non lucratif, fondée en 1986 pour promouvoir un dialogue culturel entre la Suisse et les États-Unis. Bien qu’elle reçoive depuis son origine une aide annuelle de Pro Helvetia, fondation pour la promotion de la culture suisse basée à Zurich, elle ne lui est pas directement affiliée, comme le sont les centres culturels suisses, notamment celui de Paris. Le budget du SI est alloué en premier lieu par des sponsors et des mécènes, mais aussi, si l’économie est favorable, par les plus-values générées par les fonds de la fondation qui lui est propre, ou encore par des événements organisés à son bénéfice, comme des dîners ou des ventes aux enchères. Aux subventions publiques accordées par Pro Helvetia s’ajoute depuis 1990 une aide de l’Office fédéral suisse de la culture, équivalent du ministère français de la Culture.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : Marc-Olivier Wahler : SI tu n’existais pas...

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