Saatchi ouvre une nouvelle galerie

Le Journal des Arts

Le 2 mai 2003 - 895 mots

Charles Saatchi a ouvert le 16 avril à Londres un nouvel espace d’exposition dans les salles solennelles du County Hall. En créant une nouvelle institution, il réinvente son statut de “super collectionneur”?.

LONDRES - La création d’une nouvelle Saatchi Gallery au bord de la Tamise, à mi-chemin entre la Tate Britain et la Tate Modern, serait-elle un hommage ou une boutade aux deux musées londoniens ? Probablement un peu des deux. Le magnat de la publicité Charles Saatchi n’a pas protesté quand les médias ont qualifié ce déménagement de défi à la Tate Gallery. Même s’il déclare, détaché, “la Tate Modern est surprenante et j’adore la Hayward Gallery et la Serpentine Gallery”, il fustige la pauvreté de la Tate en matière de Young British Artists : “Je trouve que le nouvel art britannique est le plus passionnant au monde et il nécessite une vitrine qui lui soit propre… Je ne veux pas que les artistes en lesquels je crois aient à patienter jusqu’à la retraite pour que le public ait une chance de découvrir leur travail dans une exposition majeure.”
Bien que Damien Hirst la qualifie d’”inutile”, car elle comporte des œuvres anciennes, la galerie présente pour son ouverture une rétrospective de l’enfant terrible du gourou, accompagnée de quelques pièces célèbres tels le lit de Tracey Emin ou les atrocités inspirées par Goya aux frères Chapman.
Si l’art moderne est devenu une attraction touristique à part entière en Grande-Bretagne, il le doit sans aucun doute à l’action de Charles Saatchi durant les vingt dernières années. Face à l’effervescence créée autour du Young British Art –  une appellation que l’on doit au publicitaire –, qui a atteint son paroxysme en 1997 à l’occasion de l’exposition de la Royal Academy de Londres “Sensation”, la contribution de Saatchi s’étend bien au-delà du récent boom de l’art britannique.
Quand la première Saatchi Gallery a ouvert ses portes en mars 1985, elle a non seulement offert un espace pour le vaste ensemble de pop art américain, de minimalisme, et d’art contemporain international du collectionneur, mais elle a aussi rendu ces œuvres accessibles au public. Car, mis à part quelques galeries commerciales (Anthony d’Offay, Leslie Waddington ou la Lisson Gallery), il était presque impossible de voir de l’art international récent en Grande-Bretagne dans de telles conditions.
Les institutions étaient en retard : en 1985, la collection Saatchi pouvait se féliciter de réunir quinze toiles d’Andy Warhol tandis que la Tate Gallery n’en possédait que deux. Les expositions marquantes des quatre premières années, dédiées à Donald Judd, Brice Marden, Sol LeWitt, Dan Flavin, Bruce Nauman et Richard Serra, ainsi que celles d’artistes plus jeunes comme Jeff Koons, Ashley Bickerton et Robert Gober ont fait de l’ancienne usine de peinture sur Boundary Road LE musée d’art moderne alternatif de Grande-Bretagne.
En offrant au pays une première exposition majeure d’artistes d’envergure internationale, Charles Saatchi a surtout mis en place des conditions d’exposition idéales. Cette vision des travaux de Judd ou de Koons, installés méticuleusement dans les 2 800 m2 d’un espace industriel d’un blanc immaculé, devait avoir un impact crucial sur la jeune génération des artistes britanniques qui, dans les années 1990, allaient composer sa troisième collection.
Pour l’artiste Michael Craig-Martin, “les jeunes artistes qui ont grandi avec l’espace de Boundary Road ont vu ce à quoi l’art pouvait ressembler, à quel point il pouvait être ambitieux... Charles exposait ce qu’il y avait de mieux, et pas seulement une œuvre à la fois, il remplissait les murs. Et tout était présenté dans les meilleures conditions. Il n’y avait pas de compromis à ce niveau-là.” Damien Hirst confirme : “Lorsque j’étais étudiant en art, j’allais voir cet espace. L’art y était superbe... Alors on se met à concevoir des œuvres spécifiquement pour l’endroit.” Ce qu’il a fait pendant dix ans.
Avec son génie du marketing et de la promotion, Charles Saatchi n’a pas seulement lancé les carrières de quelques-uns des meilleurs artistes britanniques, il en a également aidé beaucoup en créant un climat favorable à l’émergence de nombreux jeunes marchands – parmi lesquels Jay Jopling.
L’art contemporain est désormais “cool” en Grande-Bretagne ; il fait partie de la culture grand public, on en parle chez les chauffeurs de taxis et dans les cellules de réflexion du gouvernement. C’est l’héritage de Saatchi. Celui-ci peut aujourd’hui se dire victime de son propre succès. L’art britannique s’est étendu au-delà de ses limites, et le publicitaire ne règne plus en maître. Les artistes ont trouvé d’autres leaders et d’autres espaces, et de jeunes générations, avec de nouvelles stratégies, ont émergé. Plusieurs artistes attirent ces temps-ci l’attention – Anish Kapoor et sa trompette géante Marsyas à la Tate Modern ; Cornelia Parker et sa ficelle autour du Baiser d’Auguste Rodin ou Antony Gormley, au don d’ubiquité –, artistes non nécessairement soutenus par Saatchi. Mais ils ne susciteraient certainement pas autant d’intérêt sans lui.

La vérité nue d’un publicitaire

Le 16 avril, l’ouverture officielle de la nouvelle Saatchi Gallery s’est déroulée dans le plus simple appareil. Le publicitaire avait invité Spencer Tunick à réaliser une de ses photographies si particulière... Deux cents corps nus, hommes et femmes âgés de 18 à 61 ans, gisaient sur le trottoir devant la galerie, les pieds dirigés vers la Tamise, formant un tableau vivant. “Shocking”? pour certains, cette célébration n’a laissé personne indifférent. Leçon Charles Saatchi no 1 : il n’y a jamais de mauvaise publicité.

DAMIEN HIRST

Jusqu’au 31 août, The Saatchi Gallery, County Hall, Southbank, Londres, 44 207 828 2363, tlj 10h-18h, vendredi et samedi 10h-22h, www.saatchi-gallery.co.uk

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Saatchi ouvre une nouvelle galerie

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