Breton : un bilan généreux

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2003 - 940 mots

Comme il l’avait promis, l’État est entré en lice lors des ventes-fleuves de l’atelier d’André Breton. Il s’est montré d’une libéralité totale, dépensant presque sans compter au rythme des surenchères parfois outrancières des marchands. L’effet des nombreuses préemptions a toutefois été escamoté par l’ultime geste de générosité des héritières de Breton. Dans un dernier élan, elles ont offert à plusieurs musées quinze des œuvres préemptées.

PARIS - Pour aplanir les grognes, l’État français s’est montré très grand seigneur lors des ventes Breton. Il s’est porté acquéreur de pièces souvent mythiques, pour son compte et celui des collectivités, totalisant 335 préemptions, soit un montant de 11,5 millions d’euros (un quart du produit total de la vente). Aucune vacation n’avait à ce jour engrangé à elle seule un si grand nombre de préemptions. Le pic annuel avait été atteint en 1994 (100 lots pour plus de 5 millions d’euros) et 1998 (143 lots, principalement liés à la vente Dora Maar, pour plus de 1,5 million d’euros).
La bibliothèque Doucet et le Centre Pompidou ont été parmi les plus actifs avec respectivement 2 158 250 et 4 683 970 euros d’achat. Le Centre Pompidou a emporté notamment Femme de Jean Arp (2,5 millions d’euros) et Impossibilité Dancer/Danger de Man Ray (1,4 million d’euros). S’il semble naturel que l’État ou les collectivités achètent les pièces maîtresses, d’autres dépenses peuvent laisser perplexe, ainsi l’empressement de la bibliothèque Doucet pour certains dessins en apparence anecdotiques de Robert Desnos ou un portrait anonyme de Charles Fourier. “J’ai eu exactement les 148 lots que je voulais. Derrière l’incohérence, il y a un tout. Il n’y avait aucune place laissée au hasard. Tous les achats sont en réseau. On ne peut pas acheter le dossier sur les Sommeils sans acheter les dessins de Desnos sur les Sommeils. On n’a pas acheté, par exemple, les dessins de jeux de mots, ni le dessin en hommage à Max Ernst. De même, il est normal d’acquérir le tableau de Fourier quand on achète le carnet de voyages chez les Hopis, qui comprend l’Ode à Charles Fourier”, défend Yves Peyré, directeur de la bibliothèque Jacques-Doucet.
Une petite partie de ses acquisitions devrait être financée par du mécénat. Globalement, les institutions se sont attachées au “Grand Breton”, éludant l’ordonnateur des débats sur la sexualité ou celui de l’exclusion de Dalí...
Les collectivités territoriales ont aussi affiché un zèle stupéfiant, comme la bibliothèque municipale de Nantes, qui a préempté pour une valeur de 137 500 euros. Encore plus déroutante, la frénésie du Musée des beaux-arts de Rennes, qui a décroché Les Petits Pois sont verts, les petits poissons rouges, d’Yves Laloy, pour un record de 80 000 euros (estimation 1 200/1 500 euros). Le musée souhaite consacrer une exposition à l’artiste rennais de janvier à mars 2004. Les institutions ont été plus pondérées lors des ventes de photographies et d’arts primitifs. Le Musée du quai Branly n’a pas cédé à l’attrait d’“Uli”, dont il possède un exemplaire similaire. Il a en revanche préempté un rare masque à transformation Haida. Au vu de ces morceaux de bravoure, on méditerait volontiers sur un manuscrit de 1952, Ferments de liberté, 125 œuvres de haut vol au musée d’art moderne : “On m’assurait il y a quelques jours que l’État s’apprêtait à consacrer un demi-million à l’achat d’un papier collé de Braque. La seule objection qu’on puisse faire est qu’en vente publique, il y a une trentaine d’années, les papiers collés de cet artiste, entre lesquels on avait tout le choix, se vendaient de cinquante à deux cents francs.” Les pouvoirs publics n’ont pas poussé l’autoflagellation au point de le préempter ! Une des préemptions les plus inattendues a été celle de la principauté de Monaco pour Obligations pour la roulette de Monte-Carlo de Marcel Duchamp (1924), œuvre adjugée à 240 000 euros. Depuis le 1er août 1977, un accord de réciprocité permet à la France et à la Principauté de préempter sur leurs territoires respectifs. Ainsi la France est-elle intervenue lors des ventes monégasques de Sotheby’s et Christie’s.
Si les ventes ont été jalonnées de coups d’éclat, l’épilogue a été tout aussi étonnant. L’État et les collectivités, qui disposent de quinze jours pour régler leurs achats, se sont vu offrir par les héritières de Breton quinze des œuvres préemptées. Parmi celles-ci figurent les pièces phares comme Arcane 17 (750 000 euros), le dossier Nadja (140 000 euros), celui sur les sommeils hypnotiques (150 000 euros) pour Doucet, Femme et Impossibilité Dancer/Danger pour Beaubourg, le Portrait d’André Breton par Victor Brauner (180 000 euros) pour le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, mais aussi les Petits Pois sont verts... pour Rennes et le masque Haida pour le Musée du quai Branly. Un don supérieur à 6,55 millions d’euros, de quoi alléger sensiblement les dépenses publiques ! Rappelons que l’enveloppe d’acquisition prévue par les Musées nationaux pour 2003 s’élève à 11,03 millions d’euros, l’apport du fond du patrimoine à répartir entre les musées étant de 15 millions d’euros. Dans l’hypothèse initiale, le fond du patrimoine devait intervenir pour 50 % des préemptions Breton. Dans son incommensurable générosité, la fille d’André Breton, Aube Elléouët, a aussi acheté pendant la vente la statue Uli (1,1 million d’euros) pour l’offrir à la bibliothèque Doucet. Les pouvoirs publics ne pouvaient-ils escompter un tel geste ? “Je ne m’attendais à rien de tout cela. Il y avait des rumeurs, Arcane 17 était entre guillemets, mais il y a eu tellement de rumeurs !”, commente Yves Peyré. Le commissaire-priseur Cyrille Cohen et le galeriste Marcel Fleiss doutent que les musées aient pu supputer une telle largesse. La famille d’André Breton en était pourtant coutumière.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Breton : un bilan généreux

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