Entretien

Fabienne Leclerc, galeriste

« L’art est un monde d’idées »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 787 mots

Fabienne Leclerc ouvre la galerie des Archives en 1989 dans le Marais, à Paris. Elle s’associe en 1992 avec Christophe Durand-Ruel et déménage rue Beaubourg. La collaboration s’arrête en 1998. Fabienne Leclerc rouvre en 2001 la galerie In Situ dans le 13e arrondissement avant de déménager en septembre dernier au 6, rue du Pont de Lodi, dans le 6e arrondissement.

Vous avez quitté le 13e arrondissement pour le 6e. Pourquoi ce choix ?
Pour l’espace. La galerie que j’avais dans le 13e ne convenait plus aux artistes. Nos bureaux ne permettaient pas une bonne relation avec les visiteurs. Je ne quitte pas ce quartier de gaieté de cœur, car j’aimais la dynamique de groupe que nous avions créée. Lorsque j’avais commencé au début des années 1990, les galeristes, critiques et artistes formaient une « génération », qui faisait corps. J’aimerais reproduire cette idée ici avec Kamel Mennour, Hervé Loevenbruck et les Vallois. Notre métier est avant tout un théâtre de liberté, d’expression et il est important de recréer une communauté, d’avoir des échanges entre voisins.

Vous aviez lancé en 2001 un club de collectionneurs que vous emmeniez chez d’autres galeristes. Quel bilan en tirez-vous ?
Beaucoup de gens s’étonnaient que j’emmène mes collectionneurs ailleurs. On ne peut pas conseiller dans la restriction, mais au contraire en incitant les gens à regarder de bons artistes, qui ne sont pas tous chez moi. J’avais deux cas de figure d’amateurs. Ceux qui n’étaient pas à l’aise avec l’art contemporain et avaient besoin d’une discussion de groupe et d’autres, passionnés, mais qui n’avaient pas les moyens d’acheter seuls des œuvres à 5 000 euros. On était dans le monde des idées et non dans le « combien ça coûte ? » et « quel prix vous me faites ? ». Je pense que ça a été motivant et formateur.

Le profil des collectionneurs a-t-il changé ?
Très peu de personnes prennent le temps de comprendre un travail en profondeur. Il y a une forme d’hystérie et de précipitation. Ceux qui veulent prendre du temps achètent plus difficilement car ça va trop vite. Je travaille de manière plus aisée, avec davantage de moyens, mais en même temps avec l’angoisse de vendre à des spéculateurs ou de perdre mes artistes. Il faut que l’art résiste, qu’il en finisse avec des mots comme « hot », « tendance », et les classements en tout genre. L’art est un monde d’idées. Comment voulez-vous classer des idées ?

Une crise changerait-elle la donne ?
Une crise ferait un tamis et les bons resteraient. En même temps, lors d’un krach, de bons éléments peu solides peuvent sauter. J’essaie de faire ce en quoi je crois, produire des œuvres, des livres qui permettent de rentrer dans le travail d’un artiste. Le catalogue de foire, lui, n’est pas la mémoire d’une scène mais d’un marché.

Un de vos artistes, Subodh Gupta, est devenu une star sur le marché. Comment réagissez-vous à ce succès ?
C’est la première fois que cela m’arrive. Dès la première exposition que j’ai faite, ses prix n’étaient pas donnés, car les coûts de production étaient importants et il était déjà connu en Inde. Mais le phénomène autour de l’Inde ou de la Chine ne m’intéresse pas. Si Subodh m’intéresse, c’est qu’à partir d’une tradition forte et très ancrée, il développe un propos universel, brillant.

Les galeries françaises, qui ont des artistes stars, n’ont souvent que la queue de la comète. Comment faites-vous pour avoir de bonnes pièces et surtout pour garder des artistes comme Gupta, Gary Hill ou Mark Dion ?
Je ne peux pas rivaliser avec une grosse galerie et dans les foires, la place est prise par des enseignes puissantes financièrement. Mais je sais où est ma place. J’ai une relation très personnelle, intellectuelle et humaine avec les artistes, ils savent que je ne vais jamais essayer de les exploiter, que rien n’est fait en termes de rentabilité immédiate. Lorsque j’émets des critiques sur un travail, ils savent que ce n’est pas parce que j’estimerais que ça ne peut pas se vendre. Mark Dion ou Gary Hill n’ont pas eu la vie simple et ont mis du temps avant de se faire connaître. Aujourd’hui, les artistes plus jeunes ont un succès trop rapide. Soit ils deviennent des tueurs, soit ils explosent en vol. Très peu tiennent sur la durée.

Avez-vous l’impression que la scène française est davantage connue qu’à vos débuts ?
Il est très dur de bien connaître l’œuvre d’un artiste français. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a raison d’organiser une exposition Mathieu Mercier. Mais en France, une fois qu’un musée a présenté un artiste, c’est fini et l’on passe à autre chose. Or, il faut être courageux, le montrer régulièrement, enfoncer le clou.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Fabienne Leclerc, galeriste

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