Miami bis

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 926 mots

Art Basel Miami Beach a servi de catalyseur au chantier culturel entamé depuis dix ans par la ville de Miami. Mutations d’une cité portée par ses collectionneurs.

Malgré le billboard de l’artiste Claude Lévêque affichant Scarface à proximité du Convention Center, Miami a perdu son parfum de soufre lié à la série télévisée Miami Vice. Ce creuset ethnique ne ressemble pas davantage au paradis amidonné du troisième âge de Palm Beach. La métamorphose de cette agglomération facettée dans un puzzle de villes est saisissante. « Art Basel Miami Beach [ABMB] a eu un grand impact sur notre économie. Nous avons eu la chance d’être la ville élue », s’enthousiasme la collectionneuse Rosa de la Cruz.
Pour les acteurs locaux, la foire a servi de catalyseur à un chantier culturel et immobilier amorcé cinq ans plus tôt. « Miami était déjà sur le point de se positionner comme une destination culturelle et à mon avis, ABMB a servi de tournant et d’accélérateur, indique Max Sklar, directeur du tourisme et développement culturel à la municipalité de Miami Beach. Les collectionneurs comme les Rubell, Margulies et Cisneros avaient déjà leurs espaces muséaux. Le comté de Miami Dade était en train de construire le Carnival Performing Art Center. Le Moca [Museum of contemporary arts] travaillait aussi sur son extension [ouverte en décembre 2005]. L’impact le plus saisissant du salon a été sur le programme d’art dans l’espace public, qui a pu attirer des artistes de niveau international. » Ashok Adicéam, attaché culturel français à l’antenne de l’ambassade de France à Miami observe que « ces actions se sont développées avec l’idée que Miami devait s’affirmer sur un tourisme de qualité : l’art et la culture comme vecteur d’attraction d’une clientèle plus raffinée, plus fortunée ». De fait, en cinq ans, onze hôtels ont vu le jour et dix sont actuellement en construction. Le mois de décembre, jadis creux, a vu le taux d’occupation des hôtels de Miami Beach progresser de 25,5 % entre 2001 et 2006. Les tarifs des chambres ont ainsi grimpé de 95,3 % entre 2001 et 2006 ! « Je pense que la foire a transformé l’art en activité de loisir et de lifestyle, observe Silvia Karman Cubiña, directrice du centre d’art Moore Space. Autrefois, sur toute l’année, notre public se limitait à des gens très sérieux. Maintenant, on a des jeunes intéressés par la musique, le cinéma et qui, avant d’aller au club ou dîner, s’arrêtent pour voir de l’art, ce qui est une bonne chose. » Elle précise toutefois qu’elle reçoit durant la semaine de la foire la moitié de ses 20 000 visiteurs annuels. D’après le Visitor Profile & Economic Impact Study commandé par la ville à l’agence Synovate en 2006, si 9,8 % des touristes restant deux jours sur place visitaient les musées en 2001, en 2006, ce chiffre a baissé à 4,1 %... La formule Sea, Sex and Sun a encore la priorité !
À défaut de générer un tourisme culturel vivace sur l’année, ABMB a ravivé l’intérêt des édiles et notables locaux. Aussi, n’est-ce pas un hasard si les trustees du Miami Art Museum (MAM) ont choisi les architectes bâlois Herzog et de Meuron pour construire un nouveau bâtiment prévu pour 2010. En 2004, le General Obligation Bond du comté de Miami Dade a même prévu de dégager 100 millions de dollars à cet effet. « La foire a permis de renforcer l’intérêt pour l’art contemporain, qui existait déjà. Elle a cimenté la communauté en lui donnant une certaine responsabilité. Le nombre des adhérents de notre musée a augmenté de 25 % depuis cinq ans, remarque Bonnie Clearwater, directrice du MOCA. Et de rajouter : « On capitalise toute l’année sur l’effet Bâle. Les entreprises sont plus enclines à sponsoriser nos expositions, et les collectionneurs à faire des dons. Cette année, Rosa de la Cruz a donné la série des projets Ann Lee à nous et à la Tate. »
Le salon a été surtout profitable à la jeune garde des artistes locaux. « Autrefois, il fallait dix ans avant que je réussisse à montrer mes artistes aux critiques ou collectionneurs, indique le galeriste de Miami Frederic Snitzer. Maintenant, ils ont plus vite accès à une visibilité. Par exemple, Herman Bas a été choisi par la galeriste Victoria Miro (Londres) quand elle est venue pour la foire. Les artistes ont décidé de rester ici, alors qu’ils auraient pu avoir envie de partir. » En présentant une exposition personnelle d’Herman Bas, les Rubell valorisent d’ailleurs pour la première fois un artiste du cru. « Le rêve de Miami, c’est de devenir le Berlin des États-Unis. Il faudrait pour cela une migration d’un groupe d’artistes venant à Miami l’hiver », observe le galeriste Emmanuel Perrotin (Paris). La scène marchande n’a toutefois pas évolué de manière drastique même si le quartier de Wynnwood a attiré près de 80 enseignes, pour beaucoup médiocres. Hormis Perrotin, Luis Adelantado (Valence) et aujourd’hui Bertin-Toublanc (Paris), aucun galeriste étranger ne s’est implanté durablement sous le soleil de la Floride. Il faut dire que le fossé entre la semaine de la foire et le reste de l’année reste abyssal. « On ne se situe évidemment pas à l’échelle de New York ou Londres. Mais il y a une scène de collectionneurs locaux satisfaisante par rapport au reste des autres villes, défend Emmanuel Perrotin. Il serait important qu’il y ait un deuxième événement dans l’année autour de l’art contemporain à Miami. » Pour l’heure, la seule prolongation passe par Sleepless Night, l’équivalent de la Nuit blanche parisienne, lancée le 3 novembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Miami bis

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