Le choix du conservateur

Sophie Jugie, conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Dijon

«”¯Un moment de l’histoire de France”¯»

Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 501 mots

Il y a tant de choses au Musée [des beaux-arts de Dijon], et si diverses. Dans mes premières années, chargée d’un récolement des collections, j’ai vu des milliers de peintures, de sculptures, d’objets d’art, d’objets antiques, asiatiques, africains, précolombiens. Un puzzle étourdissant, à confronter avec plus de deux siècles d’inventaires... Bien sûr j’ai mes préférés. Mais c’est cette abondance qui me charme le plus, qui excite ma curiosité, souvent mon admiration, ce vertige qui me relie à tous ceux qui ont aimé ces objets, qui les ont commandés, fabriqués, possédés, donnés au musée...

Alors le coup de cœur du conservateur, ce sera peut-être tout simplement une tendresse pour le nouveau venu : ce Louis XIII enfant de François Rude, qu’APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône) vient d’offrir au musée grâce aux dispositions de la loi de 2003 sur le mécénat. Un « trésor national », ou plus exactement, une « œuvre d’intérêt patrimonial majeur ». Encore une belle histoire entre tous ceux qui ont mené à bien ce projet : le mécène, Jean-François Roverato, président d’Eiffage, le maire de Dijon, François Rebsamen, la directrice des musées de France, Francine Mariani-Ducray, et il y en a plus de trente autres qui devront me pardonner de ne pas les citer.

Enfin Louis XIII est là (fig. 1). Adolescent grandeur nature, il vient de prendre une leçon d’équitation, il porte des bottes, des éperons, une cravache. Nous sommes le 24 avril 1617, le jour où le marquis de Vitry [Louis XIII] a tué [Concino] Concini [maréchal d’Ancre] favori de la reine mère Marie de Médicis. Louis y a été encouragé par son maître de fauconnerie, Charles d’Albert de Luynes. Il va commencer à gouverner par lui-même. C’est ce qu’indiquent, sur le socle d’où le jeune roi nous domine, les génies qui portent des attributs royaux. En 1840, Honoré d’Albert de Luynes, descendant du connétable, a commandé cet hommage au roi qui fit la fortune de sa famille : après une première version, en argent, en 1843, une deuxième version, en bronze, fut réalisée en 1878 pour une branche de la famille de Luynes.

Moment historique
Tout est incroyablement décrit : un moment de l’histoire de France, les sentiments d’un tout jeune roi, entre une timidité naturelle et l’assurance qu’il doit maintenant montrer, le costume et tous ses détails (fig. 2) : le pourpoint et les chausses brodés, les aiguillettes qui les relient, le col de dentelle à l’aiguille, le moiré du cordon de l’ordre du Saint-Esprit, les brides et les bouches qui attachent une épée à la poignée sculptée, les piqûres des bottes et des gants de cuir, le corps sous ce cuir... Et ce détail que, plus habituée à la sculpture médiévale qu’à celle du XIXe siècle, je remarque tout de suite et qui me touche profondément : les ailes des génies sont fondues avec le socle, les figures des génies étant des pièces rapportées. Comme au Puits de Moïse (1395-1405) de Claus Sluter, où les ailes sont solidaires du piédestal, et les anges rapportés. Rude est né à Dijon, il a forcément vu le Puits de Moïse : est-ce une coïncidence ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Sophie Jugie, conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Dijon

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