Paroles d’artiste

Lawrence Weiner

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2003 - 648 mots

Figure de l’art conceptuel américain, Lawrence Weiner réalise depuis la fin des années 1960 des œuvres qui pourraient se résumer à de simples phrases inscrites sur des murs. Mais ce que le public perçoit – des mots qui ont une consistance matérielle – n’est ni plus ni moins que l’étape finale d’un travail de sculpteur réalisé dans le secret de l’atelier. Nous avons rencontré l’artiste à l’occasion de son exposition à la galerie Yvon Lambert, à Paris. À la fois précis et elliptique, poétique et énigmatique, soit parfaitement à l’image de ses œuvres, Lawrence Weiner a répondu à nos questions.

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Vous présentez de nouvelles œuvres inscrites noir sur blanc sur les murs de la galerie Yvon Lambert. Quel est le sens de l’exposition “Le destin la destinée” ?
Ce sont deux travaux qui concernent la résistance des matériaux aux forces matérielles extérieures. Ces forces étant celles qui contribuent au phénomène de l’entropie. Du fait de l’introduction de nouvelles forces, le concept de destin (destinée) est transformé par un simple changement de genre. Le matériau peut changer au-delà de ce concept. Il n’y a pas de métaphore ici.

Les phrases que l’on peut voir sont de nature philosophique, voire ésotérique. Quel rapport entretient l’art conceptuel avec l’irrationnel? 
Les sculptures sont une réalité matérielle. L’idée d’entropie et de transformation d’un quelconque matériau en force majeure n’a rien d’irrationnel. Et d’ailleurs, je ne sais pas ce qu’est l’art conceptuel.

Pensez-vous toujours, en 2003 comme à vos débuts, que l’exposition est un “espace mental” ?
Chaque installation est en fait une mise en scène. Chaque mise en scène produit une ambiance. Chaque ambiance est une réalité matérielle. On peut tomber dans cette réalité matérielle et s’y immerger jusqu’à s’y perdre.

Vous considérez-vous toujours, comme à la fin des années 1960, comme un sculpteur ?
Hier comme aujourd’hui, je suis toujours un sculpteur.

Que représente le langage pour vous ?
Le langage en soi est une réalité empirique. Il se représente lui-même comme un objet. “Écrit Dans le Cœur des Objets” (1). Le langage est la forme que prennent les matériaux qui composent ces sculptures.

Comment le langage devient-il un matériau dans votre travail ? Comment procédez-vous ?
Au fur et à mesure que j’accumule les matériaux qui m’intéressent dans ce qui me sert d’espace de travail ou d’atelier et que je commence à les assembler, que je les organise avec clarté, chacun des éléments réunis devient finalement un mot : “fer” – “acier” – “eau”... à partir desquels la sculpture est construite.

Qu’y a-t-il au-delà des mots dans vos œuvres ?
Il y a la signification des mots eux-mêmes.

Les titres ont une grande importance dans votre travail. Quels sont les indices qu’ils délivrent généralement ?
L’installation, c’est le moyen de présenter le travail au public. Elle est l’occasion de construire une mise en scène qui permet à l’œuvre de fonctionner. Il n’y a là, encore une fois, aucune métaphore, mais si le public se permet de se projeter à l’intérieur, d’y amener ses propres préoccupations, d’y voir des métaphores… À ce moment-là, l’installation peut les aider à en percevoir le sens, quitte à se l’approprier en en changeant le sens.

Qu’attendez-vous du public ?
L’art est fabriqué par des êtres humains pour être montré à d’autres êtres humains. C’est une tentative de proposer et non pas d’imposer une autre structure logique que celle en cours. Ce que j’attends du public, c’est qu’il utilise le travail pour trouver sa place au soleil.

Quels sont vos prochains projets après cette exposition ?
“Utopia Station” pour la Biennale de Venise 2003..., puis une collaboration avec John Baldessari et Juliao Sarmento sur un film intitulé Drift, et une série de travaux qui ne se contentent pas de suivre l’ordre préétabli des choses.

(1) Les expressions en italique sont en français dans le texte.

Galerie Yvon Lambert, 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 71 09 33, jusqu’au 3 juin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Lawrence Weiner

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