Pierre Lellouche européanise ses classiques

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 13 juin 2003 - 911 mots

Le député UMP Pierre Lellouche ne mâche pas ses mots. Dans un récent rapport d’information établi dans le cadre de la délégation pour l’Union européenne, il n’hésite pas à parler de la “lente agonie fiscale”? du marché de l’art.

PARIS - On ne peut pas franchement parler de nouveauté puisque le texte reprend les griefs classiques de la profession en chapeautant du qualificatif “fiscal” ce que l’auteur décrit comme “trois handicaps structurels”. Outre la question de la TVA à l’importation, le rapport d’information établi dans le cadre de la délégation européenne (1) critique le droit de suite tel qu’il résulte de la directive d’harmonisation et aborde également la question de la protection contre les trafics illicites, en fait la possible ratification par la France de la convention Unidroit.
Dans son propos, Pierre Lellouche insiste sur la dimension européenne. Dans les années 1990, la critique française s’était plutôt attachée à démontrer que les handicaps français se jugeaient par rapport à la Grande-Bretagne, jusqu’en 1995 parce que cette dernière n’appliquait pas la TVA à l’importation, puis parce qu’elle ne l’appliquait qu’au taux de 2,5 %, par dérogation européenne dans la 7e directive TVA. Depuis, cet “avantage” britannique a disparu. Reste le droit de suite : s’il est encore non applicable en Grande-Bretagne, le Royaume-Uni a fini par accepter, à la faveur d’une mise en place différée, la directive européenne d’harmonisation. Même évolution dans le domaine des questions de restitution. Si les Anglais faisaient figure (aux yeux des Français) de champions du laisser-faire, du “laisser-passer”, ils ont, comme la France, transposé dans leur droit interne la directive européenne de restitution de 1993 et, comme la France en 1997, ratifié en 2002 la convention Unesco de 1970. La réglementation européenne étant en voie de nivellement (par le haut ou vers le bas selon les points de vue), désormais ce n’est plus le marché français qu’il s’agit de défendre contre les Anglais, mais le marché européen contre l’”aspiration” américaine.
Difficile d’ouvrir le débat sur cette menace, étant impossible de démêler ce qui est dû à la surpuissance américaine, aux différentiels de réglementation fiscale ou patrimoniale, ou à d’éventuelles disparités de dynamisme ou de civisme des opérateurs.
La délégation européenne de l’Assemblée nationale ne s’y est d’ailleurs risquée qu’avec prudence. Sur la question fiscale de la TVA à l’importation, elle a validé la proposition de suppression de la TVA à l’importation, “les deux grands syndicats d’antiquaires étant unanimes sur cette question”, tout en prévenant, par la voix du secrétaire de la délégation François Guillaume, qu’il “convenait de veiller à ce que [cette suppression]  ne crée pas de distorsions par rapport au régime fiscal applicable aux autres secteurs économiques”.
En ce qui concerne la convention Unidroit, le président de la délégation, Pierre Lequiller, estimait “qu’il convenait de relativiser les critiques des professionnels du marché, et que les acquéreurs de bonne foi seraient protégés par les tribunaux français”. Rappel opportun quand tous les débats semblent omettre le rôle des juges dans l’application concrète de la convention, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture avant les élections de 2002 et depuis en souffrance sur le bureau du Sénat. Le désastre patrimonial irakien pourrait apporter un éclairage cru sur la nécessité d’une cohérence entre le discours international de la France et sa pratique interne.
In fine, la délégation, “considérant la portée très contestée de la TVA à l’importation, de la directive du 27 septembre 2001 sur le droit de suite, ainsi que du dispositif communautaire de protection des biens culturels...”, s’est ralliée à l’idée d’une étude approfondie, associant étroitement tous les professionnels du secteur quant aux effets des réglementations communautaires sur la compétitivité du marché de l’art européen. La délégation a complété sa motion d’un appel à l’adoption rapide d’une proposition de Pierre Lequiller, déposée en février 2001, pour lutter contre le démembrement du patrimoine mobilier suite au dépeçage de châteaux par des propriétaires peu scrupuleux.
Un problème toutefois. Il y a près de dix ans, les professionnels anglais avaient proposé la même chose, et une étude avait été transmise à la commission annonçant la “lente agonie” du marché anglais à cause de l’introduction de la TVA à l’importation imposée par la 7e directive TVA. Mais la Commission européenne avait répondu qu’elle n’avait pas constaté de signes avérés de cette agonie. Chaque partie tirait à l’époque des conclusions opposées des mêmes statistiques. Par exemple, les Anglais expliquaient une forte baisse des importations d’œuvres d’art au Royaume-Uni par leur imposition à la TVA depuis 1995 ; la Commission de Bruxelles répliquait que la baisse était simplement à mettre au compte de l’utilisation par les professionnels anglais des importations temporaires, qui ne présentaient auparavant pas d’intérêt fiscal. Alors, un rapport de plus apportera-t-il autre chose qu’un différé dans les décisions ?
Parmi ses diverses propositions, Pierre Lellouche suggérait de prendre des mesures en faveur des acquisitions, des dons et du mécénat. Le projet de loi sur l’encouragement au mécénat et aux fondations (lire le JdA n° 172, 30 mai 2003) devrait lui donner satisfaction. Il n’y retrouvera pas cependant sa proposition de déduction fiscale pour encourager les acquisitions d’art contemporain par les particuliers (celle qu’il suggère pour les entreprises existant déjà sous une autre forme). Le projet gouvernemental visant les initiatives en faveur de l’intérêt général, il est techniquement logique qu’une telle disposition n’y figure pas. Mais il serait sans doute opportun d’en accepter le principe dans un autre contexte. Ne serait-ce que pour rapprocher les incitations fiscales de la France d’en bas.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Pierre Lellouche européanise ses classiques

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