PhotoEspaña explore l’altérité

Madrid accueille son 6e festival international de la photographie

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 27 juin 2003 - 815 mots

La tendance étant à l’éclatement des disciplines et à la mixité des genres, les festivals qui privilégient encore un médium unique peuvent surprendre. Connue pour donner des vapeurs, Madrid se consacre pourtant tout entière pendant un mois à la photographie, avec quelques timides ouvertures sur la vidéo. L’artiste peut-il limiter son expression à un seul outil ? Le festival PhotoEspaña à Madrid prend les paris depuis six ans. Entre photoreportage et photographie plasticienne, il tente de réconcilier deux pôles que certains se plaisent à cloisonner. Et Madrid respire l’altruisme à travers ses rues, ses musées et ses centres d’art.

MADRID - 2003 marque pour le festival PhotoEspaña la fin d’une trilogie sur l’identité. Sous la direction artistique d’Oliva María Rubio, les deux volets précédents de la manifestation étaient successivement consacrés à l’identité spatiale et géographique, puis à l’éternel féminin. Cette année, avec un thème quelque peu flou, “Nous/Autres. Identité et altérité”, PhotoEspaña semble faire la synthèse de ses dernières éditions.
De l’individuel à l’universel, l’objectif photo exprime notre perception de l’autre et dresse le panorama d’une société.
Selon une approche documentaire esthétiquement ambitieuse, Christine Spengler expose dans un imposant château d’eau des clichés pris au Tchad, en Iran ou en Irlande du Nord, des témoignages de conflits sans complaisance. Datant parfois de plus de vingt ans, ces photographies dont s’échappent des présences féminines voilées de pied en cap, des hommes en fuite ou des regards d’enfants démunis mais rêveurs font froid dans le dos au regard des événements politiques actuels. Dans un même esprit, au Circulo de Bellas Artes, le conflit israélo-palestinien est illustré par quatre artistes juifs : Matei Glass laisse les visages se troubler et s’effacer pour mieux mettre en valeur leur caractère fugitif. Quant à Michael Rovner [qui représente Israël à la Biennale de Venise], il réduit les hommes à des ombres dont les interminables chorégraphies se succèdent en vidéo. L’individu n’est pas, mais l’Histoire, elle, semble se répéter à l’infini.

De l’onirique au sociologique
Et, si le monde ne tourne pas rond, l’exposition au Conde Duque, “De près, personne n’est normal”, nous met face à l’humanité de ceux que l’on enferme pour cause de folie. Des photographes tels que Raymond Depardon s’y distinguent, mais c’est le Suédois Anders Petersen qui se révèle ici avec des sujets figés dans des cadrages et des postures oniriques dont la source psychiatrique est à peine soupçonnable.
Puis, “l’autre” devient rapidement une bête curieuse par le filtre du regard en noir et blanc et tristement anthropologique porté sur les Péruviens par Jaume Blassi, exposé au centre culturel de la ville. Ou encore dans les portraits frontaux de Julie Moos où maîtres et serviteurs se retrouvent juxtaposés, selon une approche sociologique qui reste malheureusement de surface. Avec un peu d’ironie, de couleurs et d’esprit pop en plus, la série “Sun City” de Peter Granser aboutit à une platitude plus séduisante. L’artiste a recueilli d’amusantes images dans un pittoresque village interdit aux moins de cinquante ans aux États-Unis. Mais on pourra préférer la créativité du Finlandais Rax Rinnekangas au Musée Reina Sofia : “Spiritus Europaeus” réunit dans des cadrages subtils les visions archétypales de l’Europe ou, du moins, ce que l’on en perçoit à distance.
Et, puisque la photographie est souvent associée à l’intime, le Nigérian Samuel Fosso, au centre d’art du Jardin botanique, se joue avec humour des écueils du portrait et des images d’Épinal que l’Occidental se fait de l’Africain : shaman ou dictateur, tout y passe. Plus prétentieux, Joel-Peter Witkin se débarrasse des fantômes mortifères et autres monstres sanguinolents qui le hantent à travers des collages baroques et bavards. Ces compositions font des clins d’œil appuyés à des maîtres de la peinture tels que Goya ou Boticelli.

L’esthétique des scènes les plus banales
Alors que le Minimal Sol LeWitt présente ses étonnantes grilles photographiques au Musée ICO, l’exposition de la Collection Lambert, “De père en fils”, rend hommage à des artistes comme Boltanski ou Bruce Nauman... Parmi leurs héritiers sont présentés Jonathan Monk, François-Xavier Courrèges ou David Horowitz... À la casa America, c’est Anthony Goicoléa qui fait sensation avec ses vidéos aux accents fantastiques qui mêlent séquences enchanteresses et visions cauchemardesques. Plus loin, à l’ancienne Fabrique de tabac, “Double Vision” présente sommairement les vidéos du performer Zhang Huan, le film d’Isaac Julien qui porte un regard sur la globalisation et les photographies de Justine Kurland.
Enfin, l’inclassable Philip-Lorca diCorcia réconcilie avec ses grands formats la photo témoignage et la photo plasticienne. Le quotidien – urbain ou intime – semble suspendu dans le temps, et son objectif d’une grande précision révèle alors l’esthétique des scènes les plus banales.
À travers les rues de Madrid, le visiteur de cette édition de PhotoEspaña, riche de quelques découvertes, finit par oublier que l’art ne se limite pas à un seul médium.

PHOTOESPAÑA 2003, VIe FESTIVAL INTERNATIONAL DE PHOTOGRAPHIE : “ NOUS/AUTRES. IDENTITÉ ET ALTÉRITÉ”?

Jusqu’au 13 juillet, divers lieux, Madrid, www.phedigital.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : PhotoEspaña explore l’altérité

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