Le merveilleux mal-aimé de la photographie

Le daguerréotype français dévoilé dans toute sa splendeur au Musée d’Orsay, à Paris

Le Journal des Arts

Le 27 juin 2003 - 795 mots

Le daguerréotype, méconnu, est peut-être le mal-aimé de la photographie qui, elle-même, n’était pas valorisée il y a peu. Invention française datant de 1839, cultivée dans notre pays jusqu’à une perfection que le monde nous a enviée et nous envie encore, on voit peu souvent les produits de cet “art”?. Il revenait au Musée d’Orsay, qui met activement l’accent sur la photographie, de tenter une première, la rétrospective du daguerréotype français.

PARIS - Si l’annonce du daguerréotype en août 1839 marque officiellement la première manifestation de la “photographie”, le daguerréotype n’est pourtant pas la photographie telle qu’elle se pratique encore aujourd’hui. Comme le signale judicieusement le titre de l’exposition, le daguerréotype est avant tout un “objet” de nature photographique, unique et non multipliable, qui induit une grande rupture dans la notion d’image en ce milieu du XIXe siècle. Sur une surface métallique (cuivre doublé d’argent) polie comme un miroir, fragile, protégée par un verre, l’image n’est pas constituée par des dépôts de pigments comme pour un dessin, mais par des différenciations physico-chimiques ; et pourtant, les qualités de précision et d’exactitude de cette image sont hors de portée du meilleur dessinateur et font l’ébahissement des contemporains. Car il faut le voir pour le croire… et pour comprendre la fascination exercée.

Un objet qui résiste
Au-delà de l’histoire de l’invention de la photographie, et des bisbilles qui s’ensuivent, il y a ces objets que le Musée d’Orsay a entrepris de réunir en s’attachant pour la première fois à l’ensemble de la production française, qui court sur une quinzaine d’années (1839-1855).
Cependant, montrer des daguerréotypes est toujours difficile (cet embarras technique explique sans doute le délaissement de ces images) et cette manifestation n’effacera pas le souvenir de la grande réussite du cent-cinquantenaire au Musée Carnavalet, Paris et le daguerréotype (1989), qui avait envisagé rigoureusement le mode de visionnement adéquat de cet objet générateur de reflets et difficile à percevoir. Les trois cents pièces rassemblées par le Musée d’Orsay sont certainement nécessaires à la démonstration de richesse et de variété de cette création (française), mais le nombre devient un handicap qui multiplie les résistances à une juste appréciation ; tout particulièrement pour les daguerréotypes stéréoscopiques – de nus, notamment –, qui demandent un dispositif optique rigoureusement calibré. Bref, le daguerréotype est effectivement un objet qui résiste et n’est pas encore très bien apprivoisé.
Restent des images, toujours étonnantes, inattendues, saisissantes, merveilleuses, manifestes d’une esthétique inédite : le procédé rend possible quantité de “vues” qui ne seraient pas venues à l’idée d’un peintre ou illustrateur. Mais c’est une image de technicien dont la mise en œuvre est, du reste, soumise à de nombreux aléas : il ne suffit pas non plus de posséder une chambre daguerréotype pour réussir. L’opérateur l’emporte sur le concepteur d’image ; le face-à-face nécessaire entre l’appareil et un sujet potentiel prime sur toute imagination, désormais inutile : est daguerréotypé ce qui est présent, immobile pendant le temps de pose (très variable) et bien éclairé par le soleil.
C’est ce gain de liberté et de facilité que les premiers daguerréotypistes (dont Daguerre) ne savent pas très bien piloter. Malgré ses perfectionnements et ses avancées, affichant mal ses finalités – mis à part le portrait de famille et l’érotisme très privé –, le daguerréotype se maintient souvent dans un registre d’expérimentation enthousiaste, bientôt soumis à la concurrence des autres procédés (négatif papier puis négatif verre). Mais le face-à-face brutal de la nouvelle technique et d’une “réalité” désormais piégeable dans son intégralité est passionnant, ainsi les “natures mortes” de Daguerre, Fortier, Séguier, les Enfants jouant aux billes sur un toit de Paris, les Prisonniers escortés par des gendarmes, le tableau d’Ingres dans l’atelier (Millet), Victor Hugo par son fils Charles... Aussi est-il regrettable que cet affranchissement débridé soit canalisé dans l’exposition et le catalogue par une thématique aussi convenue que “Vues de Paris et de France”, “Le nu”, “Voyages à l’étranger”, “Sciences”. Les Barricades de 1848 de Thibault, les Deux nus debout de Moulin, Louis Dodier en prisonnier de Humbert de Molard, les portraits au jardin de Bayard, le Somali avec ses armes de Guillain et Vernet mériteraient une analyse esthétique et anthropologique du “photographique” de ces objets qui désormais s’interposent entre les hommes et le monde. L’entreprise de définition d’un tel “objet photographique” singulier est ardue (l’expliquer au grand public pose aussi beaucoup de problèmes, et le musée ne s’y est pas aventuré) ; l’effort pédagogique devrait s’attacher à cultiver cette idée juste.

LE DAGUERRÉOTYPE FRANÇAIS, UN OBJET PHOTOGRAPHIQUE

Jusqu’au 17 août, Musée d’Orsay, quai Anatole-France, 75007 Paris, tél. 01 45 49 11 11, tlj sauf lundi 10h-18-h, jeudi jusqu’à 21h45, dimanche 9h-18h ; cat. sous la direction de Quentin Bajac et Dominique Planchon de Font-Réaulx, éd. RMN, Paris, 2003, 432 p., 430 ill., 58 euros. ISBN 2-7118-4575-3

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : Le merveilleux mal-aimé de la photographie

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