Sésostris III, le combat continue

Convaincus du faux, les Pinault tentent un recours en révision qui sera plaidé le 10 septembre

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 29 août 2003 - 1252 mots

Le couple Pinault, propriétaire de la statue égyptienne de Sésostris III, dont l’authenticité reste très controversée, a déposé auprès du tribunal de grande instance de Paris un recours en révision de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, qui avait refusé d’annuler la vente.
Le cas sera plaidé le 10 septembre à la lumière du rapport Maurer prouvant la présence suspecte de fer dans la taille primitive de l’objet. Sans grand espoir cependant.

PARIS - Le 10 septembre, l’affaire Sésostris III repasse devant la justice. Il s’agit pour les Pinault d’un recours en révision du procès ; demande qui n’a pas grande chance d’aboutir. “Sans même parler du fond, l’obstacle est de pure procédure”, reconnaît Me Damien Regnier, l’un des avocats du couple de collectionneurs. Selon le nouveau code de procédure civile, une révision de procès peut s’obtenir seulement si l’une des parties a caché un élément ou si des pièces ou témoignages ont été déclarés faux depuis le jugement. Or les propriétaires du Sésostris III appuient essentiellement leur requête sur un nouveau rapport scientifique, accablant pour l’authenticité de l’objet. Mais l’apport de nouvelles pièces n’est pas recevable dans cette procédure. Les plaignants ont donc peu de chances d’être suivis par l’avocat général dans leur recours en révision.
Mais un petit retour en arrière s’impose. Les Pinault achètent une statue de Sésostris III à Drouot le 10 novembre 1998 pour quelque 5 millions de francs. Pour cet achat, ils ont le feu vert du Louvre, qui émet un avis favorable. Mais un autre égyptologue, le professeur Dietrich Wildung, conservateur en chef du musée égyptien de Berlin, crie au faux. Une procédure s’engage alors, débouchant sur une expertise judiciaire menée par deux spécialistes du Louvre, Christiane Desroches-Noblecourt et Élisabeth Delange. Ces dernières concluent à un chef-d’œuvre antique unique en son genre, daté de la fin du Moyen Empire – soit quelques décennies après la mort du pharaon –, ce qui rend la sculpture d’autant plus exceptionnelle. Coup dur pour les Pinault qui, déboutés le 31 janvier 2001, ne croient pas à l’authenticité de leur statue, malgré ce rapport. Ils n’en restent pas là, remercient leur conseil Me Jean-Luc Gaüzère, et embauchent deux autres avocats, Mes Philippe Combeau et Damien Regnier, pour instruire l’affaire en appel. Ils font également travailler l’égyptologue Luc Watrin. Ce dernier rédige un contre-rapport stylistique démontrant que l’objet est un faux moderne. Mais le procès en appel tourne mal pour les collectionneurs. La plaidoirie de leurs deux avocats est confuse, et fait vaguement allusion à l’analyse de Luc Watrin, ce qui n’aide pas le juge à lui porter crédit. L’action des Pinault est de nouveau rejetée le 25 mars 2002. Au final, ils n’obtiennent ni contre-expertise judiciaire, ni l’aval de la cour d’appel pour un examen en tracéologie (déjà demandé en première instance) permettant de déterminer avec quels outils a été taillé l’objet.

Une analyse en tracéologie trop tardive
À l’issue de la procédure en appel et à la demande du couple, une analyse tracéologique dirigée par le laboratoire français ASA de Francine Maurer – qui a coûté la bagatelle de 20 000 euros à l’homme d’affaires et son épouse – met cependant en évidence l’utilisation d’outils modernes en fer pour la taille primitive de la sculpture (lire le JdA n° 158, 8 novembre 2002). Ce rapport arrive un peu tard, l’affaire Sésostris III ayant déjà été jugée.
Mais pourquoi cette analyse en tracéologie, un argument primordial pour les plaignants et l’option de la dernière chance, n’a-t-elle pas été réalisée plus tôt ? Tout simplement parce que les Pinault, n’ayant pas acquitté le montant dû pour l’acquisition de la statue – ils n’y étaient pas obligés même s’il eût été plus judicieux de le faire –, ne la possédaient pas physiquement. L’objet est donc resté chez le commissaire-priseur, Olivier Coutau-Bégarie, jusqu’à la procédure d’appel à l’issue de laquelle le couple fut contraint de payer son achat et de récupérer son bien. Les avocats n’ont pas été de bon conseil, mais il semble dans cette affaire qu’ils n’aient pas eu une entière liberté d’action, puisqu’ils ont dû composer avec un juriste du groupe PPR (Pinault-Printemps-La Redoute). “C’est bien la seule statue royale égyptienne du Moyen Empire réalisée à partir d’outils en fer et qui ait été faite après la mort de son modèle. Elle vaut bien 4 millions d’euros !”, ironise Me Damien Regnier, lassé de voir son client se faire passer pour Monsieur Jourdain. Dans le milieu des égyptologues, c’est toujours l’omerta. Seul Jean Yoyotte, professeur honoraire au Collège de France et directeur d’études à l’École pratique des hautes études, a admis publiquement ses doutes sur la sculpture dans un entretien publié dans le quotidien Le Monde daté du 17 août 2003. Mme Desroches-Noblecourt, grande dame respectée de l’égyptologie, qui consacre un chapitre entier à Sésostris III dans son dernier ouvrage autobiographique (1), ne cesse d’affirmer que Luc Watrin (lire le JdA n° 161, 20 décembre 2002) est “un inconnu dans le milieu scientifique de l’égyptologie” [et qu’elle ne voit pas] ce qu’il pourrait apporter de plus [à cette affaire]”. Elle reste néanmoins très évasive sur le bilan des travaux de surface de la sculpture révélés par le rapport Maurer, parlant de “confusions provoquées par les vestiges d’outils modernes correspondant à des remaniements”. Cette analyse, comme nous l’avons souligné, ne sera sans doute pas retenue par le tribunal dans le cadre d’un recours en révision du procès. Mais les Pinault, qui se sont également pourvus en cassation, comptent bien un jour sortir cette carte maîtresse.

(1) Christiane Desroches-Noblecourt, Sous le regard des Dieux, éd. Albin Michel, 2003, pp. 240-253

Après la statue, la table !

Le 14 décembre 2001 à Drouot, les Pinault ont acheté une table à écrire en marqueterie Boulle d’époque Louis XVI estampillée Charles Joseph Dufour pour 1,3 million d’euros, soit plus de cent fois l’estimation, un achat qu’ils devaient regretter rapidement (lire le JdA n° 158, 8 novembre 2002). Le catalogue mentionnait des “accidents et restaurations”?. Mme Pinault confie l’objet à son ébéniste Michel Germond qui, dans un premier temps, ne voit rien de particulier. Mais, après un examen approfondi de la table qui nécessita son démontage, il conclut à un meuble transformé dont le placage et le cuir seraient de fabrication postérieure, les pieds, d’époque Napoléon III, et les bronzes, redorés… Il n’en faut pas plus pour que l’intéressée porte l’affaire en justice, réclamant l’annulation de la vente. Le tribunal de grande instance de Paris ordonne une expertise judiciaire le 26 juillet 2002. L’ébéniste Jean-Paul Jouan, qui a été désigné pour cette mission, a rendu son rapport le 15 juillet, lequel est, contre toute attente, favorable à l’authenticité du meuble. “La table est bonne”?, conclut expert l’ébéniste du tribunal, dans un jargon professionnel qui signifie “conforme au catalogue”?. “Seuls les quatre pieds sont XIXe, tout le reste est d’époque, y compris les bronzes”?, indique Me Jean-Loup Nitot, avocat du commissaire-priseur Paul Renaud et de l’expert de la vente. Ce rapport, cependant, ne satisfait personne. Il met le doigt sur une question épineuse : à partir de quel degré de restauration un meuble peut-il être considéré comme dénaturé ? La faible valeur du meuble (il n’était estimé que 9 000 à 12 000 euros au catalogue) n’exigeait pas qu’on le démonte entièrement pour se rendre compte de sa véritable noblesse. En ce sens, les “réserves”? émises au catalogue ne pouvaient être plus explicites. L’affaire sera plaidée en début d’année 2004. Mais Me Nitot est d’ores et déjà convaincu “qu’il y en a pour des années de procédure”?.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : Sésostris III, le combat continue

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