Le point de vue de

Pierre Rosenberg, historien de l’art

« L’inaliénabilité doit être respectée »

Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2007 - 336 mots

Président-directeur honoraire du Musée du Louvre, l’historien de l’art Pierre Rosenberg, de l’Académie française, s’oppose catégoriquement à la possibilité d’aliéner les œuvres des collections publiques, question actuellement à l’étude au ministère de la Culture.

« Remettre en cause l’inaliénabilité des œuvres d’art serait une pure catastrophe. Pour la première fois de ma carrière, j’ai réellement peur. Je m’interroge sur plusieurs choses. D’abord : qui se cache derrière ces propositions de loi ? Aujourd’hui, on a le sentiment d’une sorte d’épuisement du marché de l’art. Je me demande si les salles de vente et le commerce des œuvres d’art ne voient dans la remise en cause du principe de l’inaliénabilité une source potentielle pour trouver de nouveaux tableaux. Pourtant, l’idée comporte une simple incohérence : si vous vendez les mauvais tableaux des réserves, cela ne rapportera pas d’argent, et, si vous vendez des œuvres importantes, les musées n’auront plus rien à montrer… Ajoutez à cela que les mauvais tableaux d’hier ne seront peut-être pas ceux de demain. L’exemple des tableaux dits « pompiers » est instructif : ils auraient tous été vendus après la guerre, or maintenant ils font la gloire du Musée d’Orsay. Je ne saisis pas bien les raisons pour lesquelles, subitement, le sujet de l’inaliénabilité revient à la surface. Ce qui est très inquiétant dans cette situation, c’est que l’opinion publique française ne semble pas réellement saisir le problème. Les musées américains qui sont privés et qui ont vendu le regrettent tous aujourd’hui. En Europe, les précédents dans le domaine sont absolument désastreux : les deux pays européens qui ont vendu leurs œuvres sont, d’une part l’Allemagne nazie, d’autre part la Russie soviétique, des exemples peu encourageants ! L’inaliénabilité doit être respectée dans tous les cas, y compris pour les œuvres contemporaines achetées par le FNAC [Fonds national d’art contemporain] ou les FRAC [Fonds régionaux d’art contemporain] : peut-être s’agit-il d’œuvres qu’on vénérera dans vingt ou trente ans. Le principe de l’inaliénabilité des œuvres d’art des collections publiques ne doit pas être remis en cause. Il faut être d’une intransigeance absolue. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Pierre Rosenberg, historien de l’art

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