Paroles d’artiste

Elina Brotherus

« Je me considère comme une \"faiseuse\" d’images »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2007 - 733 mots

Elina Brotherus revient à la galerie gb”¯agency, à Paris, avec deux œuvres nouvelles”¯: une vidéo très sensible où évoluent des enfants (Mon bonheur est rond, 2007), et une série de quarante-cinq photographies sur la vitre de protection desquelles sont gravées des instructions d’exécution rédigées par le compositeur Erik Satie (Large de vue, Hommage à Erik Satie, 2006).

Pour quelles raisons avez-vous réalisé un film avec des enfants ?
Dans mon travail, les choses viennent toujours de très près. Les photographies concernent toujours des lieux réels qui existent quelque part sur mon parcours. Dans le cas de ce film, il s’agit de gens qui me sont proches. Nous sommes trois coauteurs, Lauri Astala, Hanna Brotherus et moi-même. Hanna est la mère de ces quatre enfants et aussi ma cousine. Nous voulions parler de l’enfance mais d’une manière assez générale, sans construire une narration, un récit avec un début et une fin. Hanna a imaginé des mouvements que nous avons appris aux enfants et qui constituent comme un point de départ. Mais le tournage a été très improvisé, nous les avons suivis pendant de nombreuses heures. J’ai une sensation très curieuse quand je vois ce film, comme si tout cela s’était passé il y a très longtemps et que ces enfants étaient aujourd’hui adultes ou déjà vieux.

D’où vient cette impression ?
Je pense qu’il y a chez eux une intemporalité, dans leurs visages, leurs comportements. La musique dégage aussi une certaine nostalgie.

Ce film constitue-t-il un portrait ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un portrait. Le film parle de l’enfance et de la fratrie en général. Cela nous interpelle beaucoup, nous les adultes, car cela nous rappelle des aspects de notre enfance.

Comment avez-vous conçu votre installation photographique en hommage à Satie ?
Il y a là encore une histoire personnelle derrière. J’ai joué le morceau Aperçu désagréable quand j’avais 12 ans. L’épouse de mon professeur avait fait des traductions de toutes les instructions que Satie avait données aux musiciens. Il y en avait quarante-cinq. C’étaient des petites phrases ou des mots assez bizarres, souvent drôles ou poétiques, comme « ne tournez pas » ou « très lié et mélancolique ». Ils me sont toujours restés en mémoire et j’ai pensé qu’un jour il me faudrait trouver une manière de travailler avec. En y repensant, il y a deux ans, j’y ai trouvé beaucoup de sensualité. Je me suis alors plongée dans mes tirages contacts afin de trouver des photographies que je n’avais pas utilisées auparavant, et que je pourrais mettre en relation avec ces phrases. J’aime bien cette idée de se fixer parfois quelques paramètres. Ici c’étaient les mots [reproduits] dans leur ordre d’apparition au sein de la composition.

L’œuvre repose-t-elle entièrement sur du matériel existant ?
Oui, je me suis astreinte à utiliser uniquement un corpus existant de travaux réalisés entre 2001 et 2006, et j’ai composé avec. Il fallait que chaque photo corresponde à ces mots respectifs et fonctionne bien avec les clichés qui l’entourent. Cela devait donner une suite visuelle cohérente, en même temps que devait exister une signification entre chaque image et ces mots.

Pourquoi ne pas avoir réalisé de nouvelles images ?
Mes photos n’existent pas tant qu’elles ne sont pas tirées et exposées. C’étaient donc de nouvelles images, qui ne seront jamais réutilisées, même si certaines peuvent tout à fait avoir une vie autonome. Mais j’ai décidé que c’est une œuvre composée de quarante-cinq parties indissociables.

Selon vous, la photo est-elle plutôt de l’ordre du témoignage ou bien de la projection mentale d’une chose que l’on tente de retrouver ?
Peut-être un peu des deux. Mais pour moi, la photo, c’est surtout une image construite. Je me considère comme une « faiseuse » d’images, ou peut-être comme quelqu’un qui trouve des images. La trouvaille visuelle est très importante. Le travail vient après, dans le laboratoire. Le public a souvent tendance à penser qu’une photo est quelque chose de donné. Les couleurs existent, sont déjà dedans, et il suffit de procéder au développement. Mais il y a en fait [à ce stade] des milliers de possibilités. Je ne travaille qu’en argentique ; avec des filtres, on peut faire la même chose qu’avec Photoshop. C’est une question de choix. Je décide de faire de mon ciel un bleu, un jaune ou un gris neutre. Il reste une grande responsabilité dans le travail après la prise de vue.

ELINA BROTHERUS

Jusqu’au 24 novembre, gb agency, 20, rue Louise-Weiss, 75013 Paris, tél. 01 53 79 07 13, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h, www.gbagency.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Elina Brotherus

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