Paroles d’artiste

Franck Scurti

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 24 octobre 2003 - 644 mots

À l’occasion de son exposition à la galerie Jacky Strenz, à Berlin, Franck Scurti a répondu à nos questions.

L’exposition a-t-elle un titre ?
Oui, c’est “Trottoir gris/Mur blanc”. C’est aussi le titre de mon dernier travail vidéo. Je donne souvent des titres en anglais à mes pièces, alors c’est plutôt drôle de titrer en français une exposition qui se déroule à l’étranger ! En fait, tout cela n’a aucune importance pour moi, c’est évidemment le travail qui m’amène à nommer les choses de telle ou telle manière.

À quoi faites-vous allusion à travers ce titre ?
C’est un ensemble de séquences que j’ai filmées cet été et que j’ai réunies pour faire un programme... un peu comme ces disques des années 1970 où toutes les chansons sont en rapport les unes avec les autres et forment un “concept album”. Les séquences sont filmées dans la rue, la caméra à la main. Certaines d’entre elles peuvent être mises en corrélation avec des travaux antérieurs. Je pense notamment à des pièces comme What’s my Name, qui reprend l’idée de la “typo-topographie”, ou encore à One Second and half, où je tirais un chewing-gum de ma bouche à l’infini. Mes dernières vidéos actualisent ces travaux. C’est une approche sculpturale de l’image. Les formes et les situations mettent en jeu des rapports entre les choses, sans constituer d’entités closes. Les images saisies peuvent être soit de fragiles configurations dues au hasard (There is always one Direction) ou à l’imprévisible d’une perception à un moment donné (Drunk), soit réalisées pour l’occasion (Boomerang). Le titre “Trottoir gris/Mur blanc” souligne la distance existant entre ces travaux nés du hasard et de la contingence, et leur réception dans le White Cube.

Parlez-nous de l’œuvre qui vous a été inspirée par l’assassinat récent à Stockholm d’Anna Lindh, la ministre des Affaires étrangères du Royaume de Suède ?
J’habite Stockholm depuis quelques mois. Anna Lindh était quelqu’un de très populaire en Suède, mais c’était aussi une personnalité importante en Europe. Le 11 septembre 2003, Anna Lindh a été assassinée alors qu’elle faisait ses courses dans Nordiska Kompaniet, le grand magasin de la ville surmonté des initiales “NK” et reconnaissable à sa gigantesque horloge sur le toit. La séquence a été filmée dans la rue où se trouve le magasin. La vidéo est ponctuée par le son de métronome qu’émettent les feux de signalisation (un système mis en place en Suède pour faciliter la circulation des aveugles dans les rues). La vidéo est un plan-séquence : quinze minutes de la vie d’une métropole après un traumatisme. Il se superpose à la couverture du journal Dagens Nyheter datant du 11 septembre. L’horloge, le son du métronome, la “une” du quotidien... différentes temporalités se croisent, se superposent.

Quel impact l’actualité a-t-elle sur votre travail en général ?
L’actualité ne fait que passer. Dans mon travail, j’essaie de fixer les choses. Après avoir analysé les images déversées par la télévision ou la publicité, il reste à se demander ce que l’on fait de tout cela ! Que fabrique-t-on finalement avec ce qu’on absorbe ? Quel récit peut-on en tirer ?

Votre travail était jusque-là davantage lié à l’objet, aux codes urbains, au design...
Je n’ai jamais ressenti le besoin de travailler avec une forme ou un médium identifiable pour légitimer mon activité. C’est l’étonnement qui compte. C’est l’idée qui m’amène à la forme, à la matière ou au médium, et non le contraire. Ce qui m’intéresse dans la vidéo est principalement lié à sa temporalité. J’essaie de retranscrire des perceptions sculpturales dans mes images. Je travaille aussi sur l’ensemble, sur le rapport que chaque pièce entretient avec une autre... et cela peut être un objet, une photo ou une peinture ! En fait, je travaille tout commerce !

“Trottoir gris/Mur blanc”?, Galerie Jacky Strenz, Gippstrasse 5, 10119 Berlin, tél. 49 30 9700 55 60, jusqu’au 15 novembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°179 du 24 octobre 2003, avec le titre suivant : Franck Scurti

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