Klee, entre ironie et désespoir

La Fondation Beyeler revient sur l’œuvre tardive de l’artiste bernois

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 24 octobre 2003 - 520 mots

La Fondation Beyeler, à Riehen, rend hommage à l’œuvre tardif de Paul Klee (1879-1940), depuis l’accession des nazis au pouvoir en 1933 jusqu’à la mort de l’artiste en juin 1940. Une centaine de peintures et dessins évoquent une œuvre oscillant entre ironie et désespoir.

 RIEHEN/BÂLE - Avril 1933. Les nazis prennent le pouvoir. Considéré comme un artiste “dégénéré”, Paul Klee est congédié sans préavis de l’Académie de Düsseldorf où il enseigne depuis 1931. Il émigre, peu de temps après, à Berne, la ville de sa jeunesse, pour ne plus jamais revenir en Allemagne. Cet épisode dramatique marque le point de départ de l’exposition que la Fondation Beyeler, à Riehen, près de Bâle (Suisse), consacre à l’œuvre tardive du peintre. Les événements politiques de ces années sombres ont eu une influence décisive sur l’évolution artistique de Klee. En témoignent deux toiles présentées côte à côte, réalisées à un an d’intervalle : Polyphonie (1932), peinture pointilliste aux couleurs harmonieuses et subtiles, et Tête de martyr (1933), un visage grimaçant et agressif, exécuté dans une facture saccadée et abrupte. “Les œuvres tardives de Klee sont d’une grande ironie, mais révèlent aussi une profonde fatalité, une négation de la vie. C’est ce double aspect de sa production qui la rend si intense, si intéressante”, explique Philippe Büttner, commissaire de l’exposition. L’éclairage, particulièrement doux, permet à la Fondation de présenter la production graphique de Klee aux côtés des peintures à l’huile. En revanche, les cimaises, de couleur bleu gris foncé, censées évoquer “le tragique inhérent à son œuvre”, écrasent parfois les toiles.

L’ultime peinture
Les années 1935-1936 marquent un nouveau tournant. Klee apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable. Un choc pour le peintre qui ne réalise qu’une vingtaine de toiles durant cette période. Ainsi d’Après l’inondation (1936), où des lignes noires, semblables à des hiéroglyphes indéchiffrables, font irruption sur la toile. Elles deviendront  sa marque de fabrique.
Dans les quatre années qui suivent (1937-1940), Klee élabore un style à mi-chemin entre abstraction et figuration, que caractérise le contraste entre aplats de couleurs et tracés rectilignes noirs. En 1938, il opte pour de grands formats où il décline les thèmes du mythe et du voyage intérieur. Port florissant (1938), qui associe aux tracés noirs des figures géométriques, Les Sorcières de la forêt (1938), entrelacement de formes humaines simplifiées, État d’angoisse (1939), dans laquelle un corps humain est représenté découpé en morceau, ou encore Mort et feu (1940), qui, surajouté à la vanité qu’elle représente, contient le mot “TOD” (la mort en allemand), attestent des nombreuses facettes de son travail.
Son dernier tableau (Sans titre, 1940) réunit des éléments disparates – formes symboliques, vases, théière, soleil, petits personnages schématisés – à la manière d’un rébus, dans une ambiance lugubre. Klee s’éteint le 29 juin 1940.

PAUL KLEE, L’ACCOMPLISSEMENT DANS L’ŒUVRE TARDIVE

Jusqu’au 9 novembre, Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, Riehen, CH-4125 Riehen/Bâle (Suisse), tél. 41 61 645 97 00, tlj sauf les 24 et 25 décembre, 10h-18h et 20h le mercredi, www.beyeler.com. Catalogue (allemand et anglais), 200 p., 49 francs suisses (environ 32 euros). L’exposition sera présentée au Sprengel Museum de Hanovre du 23 novembre 2003 au 15 février 2004.

Quatre salles dédiées à Rothko

À l’occasion du centenaire de la naissance de Mark Rothko, la Fondation Beyeler a réaménagé les espaces dévolus à l’artiste, avec le concours de ses enfants Kate et Christopher Rothko, qui ont concédé au dépôt d’une série de peintures à long terme. Quatre salles sont désormais consacrées à l’artiste, de ses débuts, où il exécute des toiles figuratives tel Subway, aux Black on Gray Paintings, réalisées en 1969-1970, peu avant son suicide. Contrairement aux cycles précédents, comme les Seagram, Harvard Murals ou les toiles destinées à la Rothko Chapel, ce dernier groupe de peintures sombres effectuées à l’acrylique n’était pas lié à un projet architectural global. Conformément aux souhaits de l’artiste, les œuvres ne sont pas accrochées uniquement en fonction d’un ordre chronologique, mais aussi selon le dialogue qu’elles tissent les unes avec les autres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°179 du 24 octobre 2003, avec le titre suivant : Klee, entre ironie et désespoir

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque