Patrimoine

Patrimoine religieux

La double peine de l’abbaye de Clairvaux

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2007 - 644 mots

Un projet de valorisation de ce haut-lieu de l’histoire cistercienne est à l’étude, malgré sa mitoyenneté avec un centre pénitentiaire de haute-sécurité.

VILLE-SOUS-LA-FERTÉ (AUBE) - Comment faire voisiner un centre culturel et la centrale pénitentiaire la plus sécurisée de France, où sont détenus de nombreux condamnés à perpétuité, parmi lesquels le terroriste Carlos ? C’est sur cette épineuse question qu’achoppe depuis de longues années tout projet de restauration et de mise en valeur du site de l’abbaye de Clairvaux (Aube). Fondée en 1125 dans le Val d’Absinthe par les moines de Cîteaux, Clairvaux et son premier abbé saint Bernard (1090-1153) ont rayonné pendant de longs siècles sur le monde cistercien. Remaniée à plusieurs reprises, l’abbaye a connu de nombreuses vicissitudes, son église abbatiale ayant été détruite lors de sa transformation en prison à la Révolution. Toutefois, plusieurs éléments remarquables de son architecture subsistent encore aujourd’hui (bâtiment des convers du XIIe siècle, cloître du XVIIIe siècle...). Ils ont été libérés par l’institution judiciaire au début des années 1970 lors de la construction, sur le même terrain, de la nouvelle centrale, mais attendent toujours des travaux de restauration.

Depuis plusieurs années, le Conseil général de l’Aube tente de mobiliser ses partenaires pour lancer une opération de valorisation du site. Le 15 octobre, une résolution était encore votée en ce sens. Mais Clairvaux appartient toujours à l’État qui a refusé, en 2002, de le céder au département. Un transfert de propriété du ministère de la Justice vers celui de la Culture a néanmoins été opéré. En parallèle, une étude de valorisation a été commandée à un prestataire privé, le cabinet d’audit lyonnais « Médiéval ». Son deuxième volet vient d’être remis aux différents partenaires (État, Région Champagne-Ardennes, Département de l’Aube). Cette étude propose de mettre en valeur le site sous deux angles : son histoire cistercienne, mais aussi son histoire pénitentiaire. « Il s’agirait de proposer une réflexion sur les lieux d’isolement, que cet enfermement soit volontaire ou punitif », explique Chrystelle Laurent, chargée de mission patrimoine auprès du Conseil général de l’Aube. Le projet prendrait ainsi le contre-pied de ce qui a été mis en œuvre dans un contexte proche – quoique plus riche d’un point de vue architectural –, celui de l’abbaye royale de Fontevraud (Maine-et-Loire). Jusque dans les années 1960, Fontevraud abritait également une prison centrale dont toute trace a été effacée. Gérée par le Centre des Monuments nationaux, elle accueille désormais un centre culturel très attractif. « Le contexte géographique est loin d’être identique, note toutefois un observateur. D’autant plus qu’à Clairvaux, la Centrale est toujours là ! » Pour les collectivités locales, le site, implanté en bordure d’autoroute, serait malgré tout doté d’un fort potentiel. Animée par les bénévoles d’une association locale, l’abbaye attire déjà 12 000 curieux par an, malgré des conditions de visite draconiennes : périmètre restreint, réservation par écrit, formulée trois semaines à l’avance, contrôle d’identité strict, interdiction de photographier… Avec son projet, Médiéval vise les 50 000 visiteurs par an.

Inscrite au contrat de projet État-Région 2007-2013, l’opération pourrait être financée en quatre tranches successives. La première consisterait à restaurer d’urgence des bâtiments qui seraient déjà en péril s’ils n’avaient pas été entièrement étayés. D’un coût de 8,3 millions d’euros, la restauration devrait être financée à hauteur de 50 % par l’État, le reste étant à la charge des collectivités. Pour sa gestion, l’État a aussi annoncé vouloir créer un Établissement public de coopération culturelle (EPCC), dont le budget de fonctionnement serait entièrement assumé par ses partenaires. Ces derniers préféreraient toutefois affiner le contenu du projet scientifique et culturel avant de penser à sa structure juridique. Par ailleurs, la Région Champagne-Ardennes, qui ne souhaite pas financer une restauration sans contrepartie de valorisation, souhaiterait obtenir davantage de garanties sur la cohabitation avec le centre pénitentiaire. « Est-il raisonnable d’organiser des concerts dans un cloître situé à 100 mètres des fenêtres des détenus ? », s’interroge un proche du dossier. Le déménagement de la centrale ne semble pourtant guère d’actualité.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : La double peine de l’abbaye de Clairvaux

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