Prix LVMH

A rebrousse-poil

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 novembre 2003 - 673 mots

 PARIS - Entorse à la tradition instaurée depuis trois ans, le 9e prix LVMH pour les jeunes créateurs n’est pas assorti cette année d’une exposition à la Galerie du Pont-Neuf, fondée par Bernadette Chirac. La version officielle argue d’un malentendu entre une jeune artiste tchèque et la directrice de la galerie. Celle officieuse invoque plutôt une censure de dessins « suggestifs » liés à une vidéo primée. Fondé en 1994, le prix LVMH des jeunes créateurs est ouvert aux étudiants des écoles d’art, français et étrangers. Depuis 1997, comme le précise le site Internet de LVMH, « le Prix LVMH des jeunes créateurs bénéficie du concours très actif de l’association Le Pont Neuf, présidée par Mme Jacques Chirac, permettant à des étudiants des écoles d’art des pays de l’Est d’effectuer un stage à l’ÉNSBA [École nationale supérieure des beaux-Arts], à Paris ».
Une mésentente entre l’un des six lauréats, la jeune Tchèque Alena Kupcikova, et la directrice de la galerie, Sophie Fouace, serait à l’origine de l’annulation de l’exposition. La première estime que la galerie a refusé de présenter les dessins érotiques réalisés avec des poils pubiens, « intimement » liés à la vidéo pour laquelle elle a été primée. La seconde avance le comportement hystérique de l’artiste débouchant sur un quiproquo. Dans ses premiers échanges de courriers électroniques en août, Sophie Fouace encourageait pourtant la jeune artiste à présenter davantage de pièces, notamment ses dessins. Un mois plus tard, elle se rétractait en invoquant la nécessité d’un équilibre entre tous les lauréats. La jeune femme pouvait présenter la vidéo, mais non les dessins, que le jury n’avait pas vus. Consternation d’Alena Kupcikova, qui avait envoyé au jury un cédérom de ses dessins associés à la vidéo, n’imaginant pas que seule la vidéo pouvait être primée. Lorsque l’exposition est finalement annulée, l’artiste invoque la thèse de la censure, la Galerie du Pont-Neuf étant chapeautée par Bernadette Chirac. Sophie Fouace assure que « Mme Chirac est plus ouverte que cela. Alena est venue en conquérante et cherchait une position hégémonique dans l’exposition. »

Sélection incertaine
« Il n’y a pas de doute qu’elle a fait l’objet d’une censure, affirme pourtant un observateur. La directrice de la galerie n’a pas voulu exposer des dessins qui auraient pu choquer Bernadette Chirac. Elle a considéré que ces œuvres n’étaient pas recommandables pour sa galerie. » Il est vrai que jusqu’à présent aucune œuvre à connotation sexuelle n’a figuré dans les expositions du lieu. Quelques poils de pubis auraient-ils grippé les rouages habituellement huilés du prix créé par le groupe de luxe ? Son responsable chez LVMH, Jean Dupont-Nivet, minimise l’affaire : « L’exposition ne fait pas partie du prix. C’est la cerise sur le gâteau. Le prix est une bourse de 4 280 euros pour faire un stage dans une école étrangère. Depuis sa création, on a permis à plus de 50 étudiants de venir à Paris. Toute cette affaire est dérisoire. Les plus brimés dans l’histoire, ce sont les autres [lauréats]. De toute manière, nous ne pouvons pas intervenir dans la décision de la galerie. » Sauf que la décision d’annulation a été prise conjointement par les hautes sphères de LVMH et Sophie Fouace, et non par elle seule. Certains lauréats remettent en cause les modalités de sélection du dernier prix LVMH. Alena Kupcikova s’interroge sur la pertinence de sa sélection, sa vidéo n’étant selon elle qu’un préambule à l’œuvre. « L’année précédente, la sélection était plus sérieuse. Cette fois-ci, le jury a choisi en passant du coq à l’âne, en se déjugeant deux ou trois fois », souligne l’observateur. « Le jury était cette année particulier, confirme Sophie Fouace. On est parti dans une direction, puis on a rejugé à nouveau. » Pour finalement choisir un travail indigne des cimaises de la Galerie du Pont-Neuf.
À l’avenir, les modalités de sélection devraient être plus rigoureuses pour préserver la crédibilité du prix. Il est vrai que le thème imposé – cette année, « Matisse-Picasso, deux visions de l’objet » –  permet difficilement d’apprécier la maturité d’un travail.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°180 du 7 novembre 2003, avec le titre suivant : A rebrousse-poil

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