L'actualité vue par

Frank Gehry, architecte

« Ce qui compte, c’est la passion »

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 21 novembre 2003 - 859 mots

Architecte du Guggenheim Museum de Bilbao, Frank Gehry est né en 1929 à Toronto, au Canada. Il fonde son agence à Santa Monica, en Californie, en 1962. Il obtient le Pritzker Architecture Prize en 1989. Parmi ses récents projets, il vient d’achever la construction du Walt Disney Concert Hall à Los Angeles. De son côté, sa société, Gehry Technologies, a signé à la fin du mois de septembre un partenariat avec Dassault Systèmes. Le 23 octobre, ce partenariat s’est renforcé sur le plan de la stratégie de développement de CATIA®, un nouveau logiciel que l’architecte souhaite commercialiser et distribuer. Frank Gehry commente l’actualité.

L’American Center, votre unique bâtiment à Paris, dans le 12e arrondissement, va être transformé pour abriter la Cinémathèque française. Quel est votre sentiment sur ce « recyclage » ?
Je préfère l’oublier. Ce bâtiment va avoir un nouvel usage et je ne devrais pas m’impliquer. Je vais devoir l’oublier sur le plan émotionnel. C’est triste, car j’aime Paris et j’aimerais construire davantage ici, mais il est difficile pour un Américain d’avoir la possibilité de bâtir en France. C’est dommage [en français dans le texte].

À l’image du réseau des Guggenheim, le Centre Pompidou s’exporte en ouvrant une antenne à Metz. Quel est votre sentiment sur ce projet ?
J’ai reçu un dossier de presse à ce sujet qui mentionnait la volonté de construire un édifice dans le style « Frank Gehry ». Mes collaborateurs m’ont donc encouragé à soumettre un plan pour le concours d’architecture. Nous avons présenté un projet, mais les responsables du Centre Pompidou l’ont écarté !

Votre actualité, c’est le partenariat que Gehry Technologies vient de signer avec Dassault Systèmes. Comment s’intègre l’informatique dans votre processus créatif ?
Personnellement, je ne sais pas comment allumer un ordinateur. Les gens ont essayé pendant des années de me convaincre que ces images pouvaient faciliter la communication avec les clients et la compréhension du travail de l’architecte. J’ai longtemps détesté les images générées par ordinateur, je les trouvais sans vie, « dégoûtantes » [en français dans le texte]. À l’époque de la conception du Vitra Design Museum, j’ai utilisé la géométrie descriptive pour faciliter la construction d’un très bel escalier en spirale. Les travaux achevés, était apparu à la place de la courbe harmonieuse un défaut dans la structure. J’ai demandé à mon associé, James Glymph, une manière d’éviter cela à l’avenir, car je voulais utiliser les courbes dans mes plans. Lors de ses recherches, il a trouvé le logiciel CATIA® de Dassault.

Pourquoi souhaitez-vous aujourd’hui vous lancer dans la commercialisation de ce logiciel ?
Je crois qu’il est inévitable que cette manière de travailler se répande et se généralise. Nous avons travaillé dans de nombreux pays et, après notre départ, les personnes que nous avons formées ont continué à utiliser le programme. L’impossible est devenu possible. Je vois mes jeunes collègues comme Greg Lynn, Alejandro Zaera-Polo et Zaha Hadid s’engouffrer dans cette voie ; la boîte de Pandore est ouverte. Au XIXe siècle, nous avions des décorations qui humanisaient le bâtiment ; aux XXe et XXIe siècles, nous cherchons un autre mode d’expression. Aujourd’hui, l’aspect, la forme d’un bâtiment sont humanisés comme jamais auparavant. [La chapelle de] Ronchamp est le meilleur exemple d’intégration de la passion à la forme d’un bâtiment. Si Le Corbusier avait disposé de ce logiciel, ce qui a pris sept ans en aurait pris deux. Nous avons confié au [sculpteur] Richard Serra, qui est un ami, le logiciel. Et, grâce à l’aide d’un ingénieur, les Torqued Ellipses [feuilles de métal monumentales pliées et roulées] de l’artiste ont pu voir le jour.

L’informatique peut-elle transformer l’architecture ?
Ce qui compte, c’est la passion. Les plans sur ordinateur sont terriblement insipides. Mais je crois que les jeunes ont compris l’ordinateur, ils ont réussi à l’appréhender, il n’est pas aussi rédhibitoire qu’il peut l’avoir été pour les générations précédentes. Un jour, il y aura un Léonard de l’ordinateur qui saura intégrer la passion dans ces plans. C’est pour la nouvelle génération, moi je suis déjà trop vieux. Encore une fois, si Le Corbusier avait eu ce logiciel, je ne serais pas ici aujourd’hui. Pour l’industrie, le système légal de construction devra s’adapter, la manière dont les professionnels seront assurés changera, afin que l’architecture puisse prendre plus de responsabilités. Le pourcentage d’erreur est considérablement amoindri. L’ordinateur nous indique toutes les données avec exactitude. Si vous regardez la façade du Walt Disney Concert Hall, le mur-rideau est parfait. De toute ma vie, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi parfait.

Dans un autre registre, que pensez-vous du projet de Daniel Libeskind pour la reconstruction du World Trade Center à New York ?
Je n’ai pas vu les derniers plans car ils évoluent constamment. C’est un sujet très émotionnel. On m’a invité à participer au projet, mais j’ai décliné l’offre. J’étais à New York lors des attentats… Il est difficile et surtout trop tôt pour parler de la commercialisation d’un site au passé aussi tragique.

Quels sont les artistes qui attirent votre attention en ce moment ?
J’aime beaucoup les nouveaux travaux de Ken Price. D’une manière générale, je trouve le travail de Richard Serra fantastique, tout comme celui de Charles Ray...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°181 du 21 novembre 2003, avec le titre suivant : Frank Gehry, architecte

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