L'actualité vue par

René Denizot

Directeur de l’école nationale supérieure des arts de Paris-Cergy

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2003 - 1227 mots

Philosophe et critique d’art, René Denizot dirige depuis 2003 l’école nationale supérieure des arts de Paris-Cergy. Parmi ses publications récentes, citons les actes du colloque « Penser l’art à l’école » (Actes Sud, 2001). Il commente l’actualité.

La FIAC vient d’annoncer un renouvellement de son fonctionnement. Le Cofiac, le comité de galeristes qui était jusque-là en charge de la sélection des exposants, a été remplacé par un comité de pilotage, et une directrice artistique a été nommée, en la personne de Jennifer Flay. Que pensez-vous de ces changements ?
Je ne suis pas allé à la FIAC cette année, mais, en rencontrant des galeristes, j’ai cru comprendre que cette foire manque de vitalité.
Est-ce un phénomène français vis-à-vis duquel il n’y a pas de solution ? Le peu d’ouverture refléterait une situation qui n’est pas nouvelle : se tirer dans les pattes plutôt que s’unir. S’il peut y avoir des avancées – ici marchandes –, cela ne sera qu’avec un front commun. Bien sûr, c’est paradoxal : la relation à l’art et aux œuvres d’art est avant tout de l’ordre du particulier, non du front commun. Il semblerait donc qu’en France même les galeristes soient des artistes… En soi ce n’est pas un mal, mais cela a sûrement des conséquences économiques.

Depuis mars 2003, vous dirigez l’école nationale supérieure d’art de Paris-Cergy. Comme toutes les écoles nationales, elle est désormais un établissement public. Quel est votre sentiment sur cette réforme ?
Le passage à l’établissement public administratif était une chose nécessaire pour que les écoles d’art aient un statut d’établissement d’enseignement supérieur et se trouvent en harmonie avec les diplômes européens. Ce statut s’assortissait aussi de la reconnaissance du statut des enseignants comme relevant du supérieur. Sur tous les plans, il y avait donc une montée en puissance et une nécessité. Toutefois, cette réforme a été menée sans une préparation suffisante, et surtout, sans la mesure rigoureuse des enjeux techniques, administratifs et financiers que supposent de telles structures. Il y a des adaptations nécessaires, et un temps pour y procéder qui aurait pu être mieux pensé. Il est difficile de considérer de la même façon une école d’art avec ses 300 personnes et un établissement public comme le Louvre.

Ce statut d’établissement public est aujourd’hui prôné pour de plus en plus d’institutions culturelles.
Si cela rentre dans une perspective qui n’est pas celle d’un retrait de l’État – le ministère de la Culture reste un ministère de rattachement –, en donnant plus d’autonomie, on invite les structures à s’assumer dans des relations qui, à terme, devraient leur permettre de fonctionner avec des subventions réduites par un recours au mécénat, à des partenariats… Le terrain est totalement vierge et reste à défricher. Cela dit, c’est une aventure qui n’est pas dénuée d’intérêt. Je ne la perçois pas comme un fardeau, à condition d’avoir les personnels et les équipements nécessaires. Cergy est intéressant pour cela : nous nous trouvons dans un contexte où sont représentés les milieux de l’enseignement supérieur et de l’entreprise, une situation qui devrait générer partenariats et aides. Cela permet d’envisager une nouvelle relation à l’enseignement et plus généralement à l’art.

S’agit-il de quelques-uns des enjeux de l’enseignement de l’art dans les années à venir ?
Sur le plan institutionnel, la relation à l’art a toujours vécu sur un modèle hérité du XIXe siècle : la singularité de l’artiste que l’on va soutenir comme une danseuse ou un génie. La conséquence en est que les observateurs étrangers ont l’impression qu’il y a peu d’artistes en France. Nous avons toujours devant les yeux les productions de quelques-uns. Il faut nouer un lien entre la production artistique et les productions nécessaires à la vie d’un pays, celles qui sont économiques et sociales. La tâche des écoles d’art est bien de montrer qu’elles sont des viviers de la création contemporaine. Ce sont des lieux de formation. On peut toujours prétendre que l’on n’apprend pas à être un artiste, il faut quand même promouvoir des formations nécessaires et suffisantes pour pouvoir faire face aux enjeux de l’art : pas uniquement ceux d’une création solitaire mais aussi l’information sur une situation artistique et son analyse. Le potentiel créatif ne manque pas. Les écoles d’art ne sont pas vides et font le plein d’élèves de qualité. Tous ne deviendront pas des artistes, mais tous, par leur formation, trouvent un équilibre et ne fondent pas de vains espoirs ou de fausses promesses. Les écoles doivent rendre lisible et visible leur potentiel. Il faut qu’elles deviennent des partenaires au plein sens du terme de la création artistique. On voit au sein des écoles des propositions beaucoup plus radicales et stimulantes que celles qui apparaissent sur le marché ensuite.

Vous parliez de lisibilité. Plusieurs écoles d’art sont dotées d’un espace d’exposition, c’est le cas de Cergy avec La vitrine, dans le 11e arrondissement de Paris.
À partir du moment où ils exposent, les élèves deviennent des artistes. Non pas des artistes solitaires et dénués de ressources, mais des artistes au cœur des conditions qui leur permettent de travailler et d’apprendre à travailler ensemble. Dans sa configuration, Cergy doit être perçue comme une plate-forme off-shore. Nous avons des ressources, une production intellectuelle, sociale et politique, mais nous ne pouvons exister que si nous nous exposons au-dehors. C’est une école qui est confrontée à des conditions d’existence qui sont celles de l’exposition, cela relève à la fois d’un risque et d’une relation à l’art. Un de mes premiers gestes a été de nouer une relation avec le Palais de Tokyo, une structure dont l’enjeu est de favoriser la génération, la production et la naissance des idées artistiques contemporaines. Nous y avons des ateliers, dont certains sont ouverts au public. À terme, cela implique des collaborations, des hypothèses d’expositions, des scénarios qui pourraient donner lieu à une production, à la mise en œuvre d’une publication, à des séances de débat. À l’autre bout, nous entamons une collaboration avec le Musée Bourdelle (Paris). Ce sculpteur est à cheval entre le XIXe et le XXe siècle, il incarne une modernité qui n’est plus la nôtre, et les espaces du musée reflètent cette idée. Que peut-on faire de contemporain dans des lieux comme celui-ci ? L’intérêt n’est pas de donner une réponse immédiate, mais de produire une confrontation, une mesure, de travailler sur des échelles et des temps différents. Ne pas avoir d’exclusive, voilà ce qui différencie les artistes aujourd’hui.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
Peu. De plus en plus d’expositions apparaissent davantage comme de l’animation culturelle, au détriment de l’art. Le risque d’une proposition artistique n’est pas vraiment assumé. Ce qui est visé, c’est le contentement, la satisfaction d’un public potentiel. Est-ce que cela satisfait le public ? Ce public, je ne le connais pas. Le risque est celui de la disparition culturelle de l’art dans l’animation culturelle. Pourquoi pas ? L’art tel que nous le connaissons est apparu, il peut aussi disparaître. La question est de se rendre compte que l’on peut travailler à la disparition comme à la révolution. La mise à l’écart de la condition politique de l’art fait partie des éléments qui rendent aujourd’hui les expositions de plus en plus édulcorées. Bien sûr, il y a des exceptions, mais, dans un contexte généralisé, tout le monde subit, je constate une usure jusque dans des travaux qui ne relèvent pas de ce relatif avachissement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : René Denizot

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