Suisse

Quand les livres racontent l’histoire de l’humanité

Le Journal des Arts

Le 19 décembre 2003 - 521 mots

Dans la foulée du Centre Dürrenmatt de Neuchâtel, Mario Botta a conçu un précieux écrin pour la bibliothèque Martin-Bodmer à Cologny.

 COLIGNY - Lorsqu’il disparaît en 1971, Martin Bodmer a rassemblé l’une des plus belles bibliothèques privées de tous les temps, riche de 150 000 livres, manuscrits, autographes et autres supports écrits. Selon ses propres mots, celle-ci est le fruit d’une « série de coïncidences heureuses » et « l’évocation du patrimoine occidental, voire de l’ensemble de la civilisation humaine ».
Héritier d’une riche famille de négociants zurichois, autodidacte, amoureux des lettres dès son adolescence, Martin Bodmer met en place pour le Comité international de la Croix-Rouge un service de « secours intellectuel » aux prisonniers, qui distribue dans les camps des milliers de livres. Il collectionne frénétiquement avec la volonté de constituer une bibliothèque de « littérature universelle » autour d’un noyau dur qu’il désigne comme le « glorieux pentagone » : Homère, la Bible, Dante, Shakespeare et Goethe. Conscient de l’ambition de son projet, il recherche systématiquement le document le plus représentatif d’un ensemble plus vaste. Ainsi la Bodmeriana possède-t-elle deux papyrus égyptiens parfaitement conservés du Livre des Morts, le plus ancien manuscrit de l’Évangile, l’un des trois exemplaires existants des thèses de Luther, des éditions originales des plus grands auteurs, ou encore les premières épreuves corrigées de la Recherche de Marcel Proust, acquises récemment.
Tous ces trésors ont aujourd’hui un écrin à leur mesure conçu par l’architecte tessinois Mario Botta, grand ordonnateur de ces lieux qui invitent à la méditation. Financés par la vente d’un dessin de Michel-Ange, les nouveaux espaces d’exposition se déploient dans les sous-sols de la propriété néoclassique de Martin Bodmer à Cologny, qui abrite la bibliothèque. Leur présence est révélée en surface par cinq parallélépipèdes vitrés, supposés « inviter à lire autrement le paysage », mais qui, habités par les éléments bleu vif du logo de la Fondation, évoquent plutôt des vitrines publicitaires. Pourtant, l’effet intérieur est tout autre : l’accès par une cour surbaissée ceinte d’un mur gris percé de meurtrières signale immédiatement l’atmosphère du lieu. L’effet sanctuaire est encore renforcé par l’usage de la tôle brute, d’un parquet anthracite, du stucco lucido noir, du granit et des puits de lumière. Puis c’est l’immersion totale dans un grand concentré de culture encyclopédique. Le parcours est sans surprise chronologique, des origines de la civilisation aux temps modernes. De vitrines en vitrines – certaines très basses pour permettre un accès aux plus jeunes –, chaque visiteur doit convoquer ses références. Et l’un d’être ému par une page de formules mathématiques griffonnées par Albert Einstein, un autre, impressionné par les fragments du manuscrit autographe du Faust de Goethe, le troisième enfin séduit par les miniatures du plus ancien manuscrit persan du Kalila wa-Dimma. Le parcours s’achève sur quelques éditions originales des années 1960, un peu désespérantes à l’heure de la diffusion de masse. Ces derniers ouvrages sont d’ailleurs présentés fermés contrairement à leurs aînés, annonçant qu’une page se tourne dans la transmission écrite du savoir.

Musée de la Fondation Martin-Bodmer

19-21 route du Guignard, Cologny, Suisse, tlj sauf lundi, 14h-18h, tél. 41 22 707 44 33, www.fonda tionbodmer.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°183 du 19 décembre 2003, avec le titre suivant : Quand les livres racontent l’histoire de l’humanité

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