Festival

Didier Fusillier : « Quelque chose qui prend corps »

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2004 - 1152 mots

Métamorphoser la ville, revitaliser le patrimoine et colorer le Nord, tels sont les objectifs poursuivis par Didier Fusillier, grand ordonnateur de Lille 2004.

Directeur du centre culturel du Manège à Maubeuge (Nord) et de la maison des arts de Créteil (Seine-Saint-Denis), Didier Fusillier est le directeur de « Lille 2004, capitale européenne de la culture ». Il revient sur le lancement de l’événement, et son déroulement tout au long de l’année.

Lille 2004 a été lancée le 6 décembre 2003. Dans les premiers jours de la manifestation, quelles sont les images ou les événements qui vous ont particulièrement marqué ?
Les ouvertures de capitales culturelles sont souvent synonymes du vernissage d’une grande exposition, d’un concert à l’opéra. À Lille, j’avais vraiment envie de créer un grand événement populaire, et qui soit fondé sur des musiques extrêmement différentes : des musiciens berbères, Berlioz avec l’Orchestre national de Lille, Pierre Henry mais aussi des labels anglo-saxons, tous les grands video-jockeys, un déferlement d’images très diverses. C’est ce mixage des axes artistiques qui a su trouver des publics très différents et produire une fête hors norme. Nous n’imaginions pas une telle puissance ! Pour nous, l’ouverture était en fait répartie sur deux week-ends. D’abord la grande fête du 6 décembre, ensuite le premier « Monde parallèle », consacré à New York, une programmation où, à l’exception de Bill T. Jones, peu de créateurs étaient connus. Nous avons montré les deux versants de Lille 2004.

Justement, un des premiers défis de ce type de manifestation est de concilier l’exigence artistique avec l’aspect événementiel. Comment vous y êtes-vous pris ?
En donnant dès le début le cadre de ce que pouvait être Lille 2004. Que l’on puisse voir les œuvres d’Annette Messager, de Daniel Buren, l’exposition « Flower Power », mais que l’on passe aussi une nuit de dingue ! Du coup, on se rend compte que la notoriété de Lille 2004 a été tout de suite énorme. Je me souviens qu’à Salamanque ou à Porto des habitants avaient appris que la ville était Capitale culturelle six mois après le lancement. Ici, c’est une lame de fond. Il souffle un état d’esprit fondamentalement nouveau. Le fait d’avoir des grands partenaires (SNCF, Carrefour, Transpole…) – qui finalement sont aussi des médias –, et une couverture de presse fantastique sur quelques jours a donné la puissance nécessaire. Ensuite vient s’inscrire une programmation exigeante.

Lorsque vous avez abordé la programmation de Lille 2004, quels sont les aspects particuliers de la ville ou de la région qui ont orienté vos choix ?
Nous sommes partis sur l’idée des anneaux de vitesse, sur la perception d’un territoire dans un espace-temps, et non un espace kilométrique. Nous sommes à trente minutes de Bruxelles, une heure de Paris, une heure trente de Londres… Notre programme a donc été décliné avec des temps de parcours. Les passes de Lille 2004 (6 euros la journée pour toutes les expositions), incluant le déplacement dans les transports en commun, ont connu un engouement exceptionnel. C’est une phase plaisante où l’on voit les gens s’approprier la règle du jeu. Comprendre que ce n’est ni un « superfestival », ni une biennale d’art contemporain mais autre chose.

Pourquoi avoir éclaté Lille 2004 au-delà des frontières de la ville ?
C’est une première pour une Capitale culturelle. C’était la volonté de Martine Aubry et de Pierre Mauroy d’étendre Lille 2004 à l’échelle de la région, même de l’Eurorégion, puisque les liens avec la Belgique deviennent de plus en plus forts. C’est une évidence, mais cela n’a pas été simple de l’imaginer. Il ne fallait pas que cela devienne un bottin ! Il a fallu convaincre chaque ville de s’accorder dans la rythmique propre de Lille 2004. Toutes les villes de la Communauté urbaine étaient ainsi dans le « Monde parallèle New York », mais en ajustant les horaires pour que le public, s’il le souhaitait, puisse tout voir.

De la danse aux arts visuels en passant par la cuisine, le spectre balayé par les manifestations de Lille 2004 est vaste. Quel est le point commun ou la thématique apte à relier tous ces événements ?
L’idée est celle de la métamorphose de la ville, d’une ville organique. Encore une fois, ce n’est pas un « superfestival », mais quelque chose qui prend corps dans une zone urbaine, donne à voir des choses qui se révèlent là où vous êtes. C’est un peu l’idée de fond de Cremaster 4, de Matthew Barney. Le film m’a beaucoup plus pour sa définition de la métamorphose : un état stable qui se défait et se révèle à nouveau, de manière différente à chaque fois. Ce matin, je me suis encore fait surprendre en venant de Paris. J’étais entièrement rose, face à un écran rose qui se dissipe peu à peu. L’intervention de Patrick Jouin sur la gare de Lille-Flandres est un choc, mais d’une grande douceur. Le Nord est toujours présenté comme une région industrielle, grise, et notre volonté était de la voir en couleurs, dynamique. Lille est la ville la plus jeune de France. C’est important de montrer cette énergie dès qu’on arrive.

Lille 2004 a été l’occasion pour la ville de mener des travaux de rénovation de ses équipements culturels (l’Opéra) et de lancer d’autres chantiers comme les Maisons Folie. Comment celles-ci fonctionneront-elles pendant cette année et que restera-t-il de Lille 2004 ?
Vous parlez des travaux de l’Opéra, mais il y a aussi la revitalisation du patrimoine par les artistes, à l’instar de la mise en lumière de la porte de Roubaix par Keiichi Tahara. Cela donne à voir nos racines sous un angle nouveau. Mais j’espère que de Lille 2004  restera un nouvel état d’esprit, et que les gens auront appris à se rencontrer, à se connaître. On l’a vu dès le début, des centaines de milliers de personnes dans la ville sans le moindre incident, une liesse énorme. De mémoire de Lillois, nous n’avions jamais vu cela. Notre société doit provoquer ce genre de moment et les Maisons Folie en sont l’emblème. Elles sont des espaces nodaux dans lesquels se révèle Lille 2004 et qui perpétueront cette idée du respect de la culture du voisin. Il y a ici 120 communautés différentes. Il est important de se connaître, de lutter contre les extrémismes qui minent les discours et les envies. Les Maisons Folie vont être inaugurées le 6 mars, certaines à Mons ou à Roubaix sont déjà ouvertes et l’on voit bien qu’elles ont été vite appropriées. Ce sont des endroits simples, en mouvement constant. Elles ne sont pas confinées à une seule vision, elles accueillent le changement du monde. Elles sont des éléments très importants de mixité entre les habitants et des artistes invités à y produire et y montrer des œuvres. Les Maisons vont rester, elles fonctionneront autour d’un « maître de maison » et seront animées par des collectifs d’habitants. C’est une vision nouvelle d’un bâtiment public.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : Didier Fusillier : « Quelque chose qui prend corps »

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