Politique culturelle

Les biens culturels au Parlement (3)

L’Unesco sans l’Unidroit

L’hommage « tardif » à la Convention de l’Unesco de 1970, rendu par les professionnels participant au colloque de l’Assemblée nationale, est-il une ouverture ou une manœuvre destinée à bloquer la ratification française de la convention Unidroit ? D’autres États, ralliés récemment au texte de l’Unesco, tentent d’apporter une réponse en tenant compte de leurs traditions juridiques. Les exemples anglais et suisses sont-ils transposables à la France ?

L’exemple vient d’à côté
De contradicteurs, il n’y a pas vraiment eu lors du colloque à l’Assemblée nationale, les États sources n’étant pas représentés, non plus que l’Unidroit. Il fallait donc chercher dans le débat entre professionnels quelques éclairages pour justifier que l’Assemblée nationale ait pu accueillir une manifestation essentiellement consacrée à mettre en cause sa propre décision prise en janvier 2002 de ratifier la convention Unidroit. Sur ce point, fidèles à leur réputation, les professionnels britanniques – représentés par le président de la British Art Market Federation, Anthony Browne – ont écarté les spéculations sur les questions de « morale » pour prôner la démarche pragmatique, mise en œuvre au Royaume-Uni et clairement exposée dans le rapport du « ministerial advisory panel on illicit trade » déposé en 2000. Celui-ci a débouché en octobre 2002 sur la ratification par la Grande-Bretagne de la Convention de l’Unesco de 1970, mais également sur la récente adoption d’une loi réprimant pénalement les trafics.

À la lecture de ce rapport, on comprenait que les débats sur la bonne ou mauvaise foi, le renversement de la charge de la preuve et même sur les questions de prescription, importants pour les États « civilistes » qui reconnaissent la prescription acquisitive, intéressent moins les Anglais. En effet, leur droit permet déjà des actions en restitution et met pratiquement la bonne foi à la charge de l’acquéreur professionnel.

Si les Belges étaient présents au colloque, les Suisses n’avaient pas été invités. Ceci explique sans doute pourquoi n’a pas été mentionnée la récente ratification par la Suisse de la Convention de l’Unesco et l’adoption d’une loi fédérale adaptant l’ensemble de la législation suisse, en particulier le code civil et le code des obligations, pour permettre l’exercice d’actions en restitution. Pourtant, cette nouvelle était doublement remarquable, s’agissant d’un voisin de la France (dont la tradition juridique est proche) et de son rôle important de pays de transit de biens culturels, lequel est, selon les avis, contesté pour son laxisme vis-à-vis des trafics ou encensé comme le paradis des collectionneurs et des ports francs.
Dans l’un et l’autre cas, les États ont ratifié la Convention de l’Unesco, mais préféré une adaptation de leur droit interne à la ratification de la convention Unidroit.

La France peut-elle s’inspirer des modèles de ses voisins et concurrents ? Ce que l’on peut craindre c’est que, en entreprenant une nouvelle démarche, on donne d’abord raison en France à ceux qui ne voulaient pas entendre parler de la Convention de l’Unesco et qui aujourd’hui l’encensent, à la seule condition cependant qu’elle reste sans effet. Cela dit, quelques pistes peuvent être envisagées.

Étendre le dispositif européen
Une approche pourrait être d’étendre aux États parties à la Convention de l’Unesco le bénéfice des procédures mises en place en direction des États de l’Union européenne par la loi française du 2 août 1995, transposant en France la directive européenne de restitution de 1993.

Avantages de la formule : on éviterait de reposer des questions de droit interne qui ont déjà été examinées en 1995. En outre, la loi du 2 août 1995 a été adoptée alors qu’était au pouvoir une majorité voisine de celle qui a pris la relève au printemps 2003 ; on s’épargnerait ainsi la recherche d’une cohérence entre majorité politique et majorité légale (version actualisée du « juridiquement en tort parce que politiquement minoritaire »).

Paradoxalement, les limites de la directive communautaire – en vertu de laquelle les actions ne peuvent être introduites que par des États et qui ne désigne précisément que les objets illicitement transférés en violation des réglementations des États d’origine – pourraient en faciliter l’application dans le cadre de la Convention de l’Unesco, en particulier pour apporter une réponse aux États les plus exposés. Comme le texte prévoit l’indemnisation de l’acquéreur de bonne foi, sous réserve de ses diligences – soumises à l’appréciation des juges nationaux –, il n’affiche pas un renversement de la charge de la preuve, tout en responsabilisant les possesseurs.

Concrètement, l’arrivée de 10 nouveaux États dans l’Union en avril 2004 forcera sans doute à quelques textes de mise à jour, ce qui autoriserait une telle modification sans asphyxier le calendrier parlementaire.

Civiliser ou criminaliser
Plus complexe serait l’examen de la loi suisse qui s’est installée sur un socle juridique (la prescription acquisitive du code civil) voisin de la tradition française. Avantages : la proximité des régimes juridiques et le soin apporté par les Suisses à la rédaction d’un texte tranchant avec une tradition de laisser-faire en matière de circulation de biens culturels ; l’actualité d’une solution juridique qui vient d’être établie après un examen minutieux des précédents et en complète cohérence avec la Convention de l’Unesco.

En suivant la démarche suisse, on « civiliserait » si l’on peut dire les textes, c’est-à-dire qu’on tenterait d’établir un dispositif réglant des questions de propriété. Mais il ne faut pas se leurrer, même en utilisant l’analyse suisse, il sera difficile d’avancer vite, tant le code civil est considéré en France comme une institution beaucoup plus intangible que les constitutions. Et comme les tenants du statu quo campent in situ, on peut imaginer qu’ils se chargeront de sacraliser encore davantage l’article 2279 du code civil.

De l’expérience anglaise, on peut retenir une approche « criminalisante » qui vise à prévenir les trafics en responsabilisant les intermédiaires et en élargissant les moyens de répression des tribunaux, mais également des services de police et des douanes. D’une certaine manière, cette approche, par le biais sécuritaire actuellement très en vogue, serait peut-être le moyen de voir si les débats français actuels reposent ou non sur la bonne foi.
Comme tout le monde s’affirme prêt à lutter contre les trafics, sans toutefois s’accorder sur les moyens civils à mettre en œuvre, le détour par le code pénal et le code des douanes est peut-être nécessaire.

Les conventions et les juges
Resterait enfin une solution : ratifier la convention Unidroit, ce que l’Assemblée nationale a commencé à faire, et qui semblerait dans le rôle de la France, un des États initiateurs et signataires du texte. Car il y a au moins une chose que l’on peut désormais clairement affirmer après les « réformes » anglaises et suisses. La France, en ratifiant la convention Unidroit, ne prendrait d’autre risque que de se mettre à peu près au niveau de ses concurrents. On découvrira alors certains traits de la convention qu’on s’obstine à ignorer dans les débats actuels. D’abord, celle-ci n’a pas d’effet rétroactif ; ensuite, comme toute convention internationale, il est toujours possible d’en sortir si son application révélait une apocalypse culturelle. Enfin, comme tout dispositif juridique, il est mis en œuvre et sanctionné par les juges nationaux, qui sont a priori les mieux placés pour mettre en ligne des traditions juridiques nationales, un ordre public international désormais affermi, et les droits légitimes des propriétaires publics ou privés de bien culturels.
Rien de très risqué donc, sauf si la France a peur de ses juges.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Les biens culturels au Parlement (3)

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