Languedoc-Roussillon

Emotions optiques

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2004 - 693 mots

Paysages, références cinématographiques, projections fractales, les propositions de
« L’endroit du regard », au centre d’art de Sète, manient la question du point de vue.

 Sète - Le CRAC (Centre régional d’art contemporain) Languedoc-Roussillon à Sète propose un parcours au travers d’œuvres qui jouent avec finesse de la question du point de vue, tant optique que subjectif. La diversité des pratiques comme des logiques formelles rend la visite vivifiante, proposant à chaque changement de salle de reconstruire le scénario possible de chaque perception. Noëlle Tissier, directrice du lieu et commissaire de l’exposition, dit travailler à partir des œuvres, sensible avant tout à leur efficace et aux passages qui les réunissent dans le parcours, mais s’appuie aussi sur l’engagement des artistes comme sur les échanges, voire les collaborations qui se produisent entre eux au cours des séjours à Sète. L’espace lui-même favorise ces circulations, même amputé par des travaux, lesquels vont marquer la programmation de ce printemps, après l’actuelle exposition, visible jusqu’au 29 février. Sept artistes y sont réunis sous le titre : « L’endroit du regard ».
La série de Maciek Stepinski (artiste d’origine polonaise formé à l’École nationale de la photographie d’Arles, vivant aujourd’hui à Nice) laisse le spectateur dans un vis-à-vis frontal avec des photographies prises au long d’une route nationale. Mais leur apparente objectivité est vite minée par une vague inquiétude, laissant flotter dans l’anonyme ce monde ordinaire mais sans prise. Il y aura cependant pour ce jeune artiste encore à affirmer, justement, la nécessité de ses jeux de point de vue, mieux tranchés, finalement dans ses deux vidéos sonores. Pour Gaël Peltier (né lui aussi en 1972) en revanche, la référence au cinéma s’impose, tant par la logique narrative que les pièces proposent qu’à travers le jeu sur hors-champ et arrière-plans. C’est aussi une question de position de caméra qui rend les installations vidéo de Marcel Dinahet toujours troublantes. Ses images « flottées » cadrent le monde instable de la surface de l’eau. Les pièces produites pour l’exposition sont toujours aquatiques : les portraits entre deux eaux ouvrent sans doute une nouvelle perspective dans son travail, qui reste à confirmer, mais c’est surtout sa grande projection qui marque : le joli bateau de pêche pour carte postale se fait terrifiant mouroir quand la caméra cadre, sur le pont, la mer de poissons qui résistent à l’asphyxie. On en ressort le souffle rare, comme si l’on voyait avec les poumons : une affaire d’image mentale, de même que pour Jean-Daniel Berclaz et ses paysages de neige suisses et autobiographiques : les images projetées sur un anneau de miroir suspendu circulent sur les murs et s’évanouissent comme dans une mémoire incertaine, tendant heureusement à faire oublier le dispositif. Berclaz travaille aussi avec des réalités paysagères bien moins virtuelles quand il convie le public à ses vernissages de points de vue, en extérieur, donc, entretenant par film et photo la mémoire de ces rendez-vous avec buffet qui, eux, satisfont l’immédiateté des papilles en même temps que des regards. Mentales, plus encore, les images peintes du Belge Filip Francis, ectoplasmes apparus sur toile blanche, qui tutoyent l’invisible ; et celles de Céleste Boursier-Mougenot, qui se tiennent aussi au bord de la disparition dans une projection de formes fractales en mouvement, presque indistinctes dans la lumière, mais surtout audibles, puisque tout le dispositif produit une respiration sonore ou musicale. Les principes de travail de cet artiste qui a choisi il y a deux ans de vivre à Sète commencent à être bien connus. Enfin, dans la cage d’escalier s’insinuent des œuvres emblématiques des glissements de points de vue proposés par l’exposition, physiques et métaphoriques : car en ramenant la figure humaine au centre de l’image de ses projections vidéo, Elie Cristiani (qui, lui, vit et travaille en Corse) réaffirme que l’espace demeure un théâtre habité, une scène, commune pourrait-on dire avec lui à Guignol et à Hamlet. Le regard trouve là, comme dans l’ensemble du parcours, à se prendre à son propre jeu.

« L’endroit du regard »

Jusqu’au 29 février, CRAC Languedoc-Roussillon, 26, quai Aspirant-Herber, 34200 Sète, tél. 04 67 74 94 37, tlj sauf mardi 12 h 30-19 h, le week-end 14 h-19 h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Emotions optiques

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