Photographie

Fiat lux

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2004 - 556 mots

Autour de la composition « A Storybook Life », qui condense vingt années de carrière, la rétrospective consacrée par le Centre national de la photographie à Philip-Lorca diCorcia montre un artiste en négociation avec le réel.

 PARIS - Introduite par une image d’un homme sur son lit et fermée par le cliché d’un cercueil dans une chambre mortuaire, la séquence des 76 photographies de « A Storybook Life » est au centre de la rétrospective consacrée par le Centre national de la photographie (CNP), à Paris, au photographe américain Philip-Lorca diCorcia. On pourrait adopter le terme de biographie pour parler de ce montage d’images fixes – d’ailleurs publié dans le livre éponyme –, mais il faudrait alors y accrocher des données externes, des notions de styles et de périodes qui courent dans une œuvre réalisée durant ces vingt dernières années. Dans cette carrière condensée, il y a des images de familles et de proches, des souvenirs à la première personne, mais aussi des retirages de travaux plus distanciés et une narration induite par l’assemblage de ces sources disparates. Au centre, un cliché pris au Caire en 1988 montre un homme passant en moto devant une pyramide, précédé de la lueur de son phare. Jeu sur le temps et la vitesse, cet effet de filé inversé est symptomatique des recherches de Philip-Lorca diCorcia sur la lumière. En 2000, pour la série « Heads », l’artiste a saisi en pleine rue des anonymes à l’aide d’éclairages cachés. La manœuvre métamorphose les passants en personnages, seconds ou premiers rôles. Dans Head #10, seule une tête d’adolescent apparaît sur un fond noir, pour d’autres (Head #4), le visage est choisi par la lueur, il surgit derrière un « figurant ». Plus loin, il rentre dans un état de grâce photogénique, à l’instar de cette adolescente comme en suspension au centre de Head #29.
Antérieures de quelques années, les images rassemblées dans « Streetwork » (1993-1997) sont construites sur des plans moins serrés qui intègrent leur environnement, mais elles ont recours à un dispositif proche, le même flash dissimulé à l’origine des tons d’orages et l’« innocence» du sujet, laquelle évite un face à face réducteur. En transposant dans la rue des méthodes de studio, Philip-Lorca diCorcia fait virer la photographie vers la peinture – Caravage pour ses sources lumineuses latérales – ou le cinéma : là aussi, on ne regarde pas l’objectif.
Né en 1953, l’artiste a creusé une voie entre la street photography (photographie  de rue) la plus rugueuse et les mises en construction savantes d’un Jeff Wall. Dans Los Angeles, 1998, la scène est comme scindée en deux : à gauche, un homme, imperturbable, à droite, un autre courant dans le flou, curieuse réminiscence de la Mort aux trousses. En s’achevant sur « Hollywood », série de 1990-1992 pour laquelle l’artiste a monnayé au prix d’une passe des séances de pose avec des prostitués, la rétrospective montre le travail de diCorcia comme une transaction. Un négoce avec des modèles pris à la volée ou achetés au prix de leurs corps, mais surtout un marchandage avec le réel pour le tirer vers la fiction et l’artificiel.

PHILIP-LORCA DICORCIA

Jusqu’au 15 mars, Centre national de la photographie (CNP), hôtel Salomon-de-Rothschild, 11 rue Berryer, 75008 Paris, tél. 01 53 76 12 31. Catalogue A storybook life, éd. Twin Palms, 95 euros. ISBN 1931885230.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Fiat lux

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