Le Grand Jeu

A l’ombre du surréalisme

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2004 - 741 mots

À travers deux expositions et une série de manifestations, Reims revient sur le Grand Jeu. Né dans la ville, le collectif a marqué la fin des années 1920 en alliant poésie et philosophie.

REIMS - Comme beaucoup d’histoires adolescentes, le Grand Jeu commence par des lectures enflammées de Rimbaud dans une ville de province triste ; comme peu d’entre elles, il s’achève sur un groupe avant-gardiste aux dimensions internationales. À Reims, au début des années 1920, Robert Meyrat (1907-1997), Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943), Roger Vailland (1907-1965) et René Daumal (1908-1944) évoluent dans une ville dévastée par la Première Guerre mondiale et engagée dans une reconstruction volontaire. Nourris de pataphysique, de philosophie orientale et d’expériences narcotiques, les quatre « Phrères » comme ils se nomment, fondent le « Simplisme ». À un XXe siècle construit sur la science et le positivisme, la société secrète oppose la recherche d’un esprit humain primitif. Avec « Reims et le Grand Jeu », la ville revient à travers une série de manifestations sur cet épisode impétueux de son histoire, un temps clandestin mais désormais inscrit dans l’histoire des arts et de la littérature. Car s’il défend une synthèse totale entre les arts, le Grand Jeu est avant tout un mouvement poétique. L’exposition « Grand Jeu et surréalisme » au Musée des beaux-arts de Reims prouve que son influence sur les arts plastiques est d’abord le fait d’affinités et de chemins croisés. En 1927, la rencontre de Daumal et Vailland avec le peintre tchèque Joseph Sima (1891-1971), installé depuis 1921 à Paris, est capitale pour la création du Grand Jeu, collectif inscrit dans la descendance du Simplisme. La nature symboliste et évanescente de la peinture de Sima est en pleine concordance avec les ambitions de perception extrasensorielle du groupe. « Plus de séparations entre l’intérieur et l’extérieur. Rien qu’illusions, apparence et jeu de glace, reflets réciproques » (Gilbert-Lecomte, « La force des renoncements »). Les paysages de Sima sont des cadres pour des formes fantômes et ses portraits captent l’essence de ses sujets (Portrait de René Daumal, 1929). Davantage que Sima, à qui de nombreuses salles sont consacrées ici, c’est la photographie d’Artür Harfaux, directeur artistique de la revue, qui demande une nouvelle attention. Ce dernier se tourne dans les années 1920 vers le photomontage avant d’expérimenter différentes techniques le poussant vers une abstraction photographique « informelle », si l’on se réfère aux transparences d’Aléatoires (1932).

Un collectif liquidé par André Breton
L’exposition fait évidemment la part belle à la genèse et à l’histoire du Grand Jeu – notamment avec la reconstitution des expositions collectives du groupe –, mais, à travers les quelque 150 photographies, dessins et tableaux qu’elle présente, c’est surtout la nature des relations du Grand Jeu avec son aîné surréaliste qui est ici envisagée. Les sources sont partagées (Gustave Moreau, De Chirico et plus tard Masson) et les compagnons communs (Georges Ribemont-Dessaignes, Maurice Henry et Harfaux, qui rejoindront les rangs du surréalisme), mais les éléments de discorde entre les deux mouvements sont prégnants. Perçu d’emblée par ses animateurs comme une suite au surréalisme – comme celui-ci l’aura été vis-à-vis de Dada –, le Grand Jeu a constitué une menace pour Breton qui l’a liquidé par un procès politique. « L’année 1928 voit l’éclatement de deux tendances latentes du surréalisme, écrit Didier Ottinger dans un essai du catalogue. Elles s’expriment dans deux nouvelles publications : Le Grand Jeu et Documents. La première est ouvertement spiritualiste, la seconde, farouchement matérialiste. L’une comme l’autre, par leur ton d’intransigeance, prennent leurs distances avec un surréalisme englué dans sa recherche d’un impossible compromis entre engagement et liberté, entre expression subjective et action collective. » Cette dissidence philosophique et poétique du Grand Jeu sera d’ailleurs celle qui nourrira en retour le surréalisme après la rupture de Breton avec le Parti communiste, et plus avant encore lors de l’exil américain et de la rédaction d’Arcane 17 (1944). Le Grand Jeu n’avait pas encore abattu toutes ses cartes.

- GRAND JEU ET SURRÉALISME, jusqu’au 29 mars, Musée des beaux-arts de Reims, 8 rue Chanzy, 51100 Reims, tél. 03 26 47 28 44, tlj sauf mardi 10h-12h, 14h-18h ; - OUVRAGES DU GRAND JEU, jusqu’au 28 février, Médiathèque Cathédrale, 2 rue des Fuseliers, Reims, tél. 03 26 35 68 00, tlj sauf lundi et dimanche, 13h-19h, mercredi 10h-19h, samedi 10h-18h. Colloques et événements sont organisés jusqu’en mars (renseignement au musée et à la médiathèque). Cat., éd. Ludion/Musée des beaux-arts de Reims, 208 p., 35 euros.

Le Grand Jeu en quelques dates

1925 Création du Simplisme (Robert Meyrat, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland, René Daumal). 1926 Premiers contacts avec le groupe surréaliste, rencontre avec Maurice Henry et Artür Harfaux. 1927 Rencontre avec Joseph Sima, Gilbert-Lecomte s’installe à Paris. Correspondance avec Rolland de Renéville. 1928 Parution du premier numéro de la revue Grand Jeu. La deuxième livraison sortira en 1929. Adhésion au groupe de Monny de Boully et Dida de Mayo. 1929 Attaque des surréalistes à la suite de la parution d’un article élogieux de Vailland sur un préfet (« L’hymne Chiappe-Martia »). Première exposition du groupe à Paris. 1930 Rupture avec Vailland. 1932 Début de l’éclatement du Grand Jeu après le refus de Renéville de signer une pétition de soutien à Aragon, mis en cause par la justice après la publication du poème « Front rouge ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : A l’ombre du surréalisme

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