Le Corbusier

Sa fondation se réveille

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2004 - 938 mots

La nouvelle direction de la Fondation Le Corbusier souhaite insuffler une autre énergie à cette institution ouatée.

 PARIS - Reconnue d’intérêt public en 1968, la Fondation Le Corbusier ressemble à une belle endormie nichée dans une impasse cossue du 16e arrondissement. On la connaît mal, sans doute parce qu’elle n’est pas entachée des errements gestionnaires ou des scandales chroniques dont sont coutumières d’autres fondations.
Le tempérament de la maison, née du vœu de l’architecte, a toujours été discret, voire secret. Contrairement à la Fondation Lloyd Wright, qui s’affiche sans complexe comme un lieu de propagande à la gloire de l’architecte américain, la Fondation Le Corbusier s’est voulue modeste, réservée à l’étude, « réticente à endosser toute publication » selon un familier. Longtemps repliée dans un isolement superbe, la Fondation Le Corbusier pourrait connaître une petite révolution. En poste depuis le 6 janvier, son nouveau directeur, Michel Richard, ancien responsable du département Multimédia de la Réunion des musées nationaux, est présenté comme « l’homme de l’ouverture ». « La fondation a trop joué la carte de la neutralité. Le changement de direction va rompre avec une ère pantoufle en donnant plus d’initiatives », assure Jean-Louis Cohen, membre du conseil d’administration de la fondation. Entre autres axes de développement, la nouvelle équipe envisage la création d’un réseau de correspondants étrangers. Elle souhaite aussi se constituer en lieu fédérateur de l’ensemble des bâtiments réalisés par Le Corbusier tout en menant de front une action pour le classement des réalisations de l’architecte au patrimoine mondial. Jean-Louis Cohen propose aussi d’autres pistes : « On peut se demander si la fondation ne pourrait pas être à l’origine de nouvelles campagnes de recherches, pouvant aller de la connaissance factuelle des ouvrages – relevés, par exemple – au développement de certaines hypothèses. Il ne me semble pas que le risque de voir la Fondation sortir d’une sorte de “neutralité de l’orthodoxie” soit véritablement dangereux… Il s’agit tout simplement d’être une force d’initiative active et non seulement une instance de facilitation. » Les statuts supposent que la fondation encourage la recherche dans l’esprit défini par l’œuvre écrite et construite de Le Corbusier. Toute la question sera de voir si les limites de cette fidélité peuvent être étendues aux préoccupations actuelles en matière d’architecture.
Derrière ces nouvelles bonnes résolutions, certaines rumeurs se répandent sur d’éventuelles annexions de la fondation par la Cité de l’architecture, voire par Beaubourg, qui avait organisé en 1987 une exposition commémorative de l’architecte.
L’arrivée de Michel Richard, qui suit d’un an la nomination du président du Réseau ferré de France, Jean-Pierre Duport, sonne comme l’infiltration des serviteurs de l’État au sein de la fondation. Michel Clément, directeur de l’Architecture et du Patrimoine au ministère de la Culture, et Jean-Pierre Duport récusent ces supputations. « Il est hors de question de fusionner avec une institution. Ce serait contraire aux volontés de Le Corbusier et, en tant que président, je m’y opposerai », insiste ce dernier. « Il n’a jamais été question que la Cité de l’architecture ait une position hégémonique ou une logique de satellisation, mais qu’on développe une politique de coopération plus avancée », défend de son côté Jean-Louis Cohen, naguère aux commandes de la Cité de l’architecture. Interrogé, Frédéric Migayrou, conservateur au Centre Pompidou, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.

Accès restreint
Tant que la fondation, légataire universel de l’œuvre de Le Corbusier, est viable économiquement, il est improbable qu’elle tombe dans l’escarcelle publique. Son indépendance semble garantie puisque les droits sur les meubles édités par Cassina – l’essentiel de sa manne – courent jusqu’en 2035. Mais les projets ambitieux de la nouvelle direction semblent difficilement compatibles avec l’exiguïté des locaux du square du Docteur-Blanche. Selon l’ancienne directrice, les règlements de copropriété restreignent d’ailleurs le nombre de visiteurs. Faute de disposer de la place matérielle pour recevoir plus de cinq lecteurs à la fois, la bibliothèque elle-même peine à se définir comme un vrai lieu de recherche. Transformer un conservatoire en centre culturel suppose le salariat d’une ou deux personnes supplémentaires, voire l’acquisition de nouveaux espaces. L’économie de la Fondation est saine. Est-il pour autant certain qu’elle ait les moyens d’une politique plus intense ?

Querelles d’experts

Il n’existe pour le moment aucun spécialiste officiel de l’œuvre graphique de Le Corbusier. Seule à même d’exercer le droit moral, la Fondation s’est toujours refusée à un expert « maison ». Elle donne des certificats uniquement pour les œuvres répertoriées dans son fonds. Si l’œuvre n’est pas recensée dans ses collections, mais qu’elle peut en retracer le parcours, elle dispense des lettres de consentement plus informelles. La fondation cautionne, sans le financer, un catalogue raisonné des peintures réalisé par Jean-Pierre Jornod dont la publication est prévue chez Skira d’ici à fin 2004. « Dans les œuvres qu’on nous a présentées, nous avons jusqu’à présent recensé une vingtaine de faux pour les peintures et une cinquantaine pour les dessins et collages. Les faux en peinture sont aisément identifiables, ce qui est moins le cas des collages, réalisés plus tard dans sa vie. Toutes les choses reproduites ont été visées par la fondation », précise Jean-Pierre Jornod. Le hic, c’est que Jean-Pierre Jornod a acheté les archives mais aussi une partie de la collection de Jean Petit, un ancien collaborateur de Le Corbusier soupçonné d’avoir réalisé de faux collages en Suisse. Le fonds d’archives de Jean Petit, que la fondation pourrait convoiter, peut-il servir de monnaie d’échange contre l’imprimatur pour un catalogue raisonné qu’on peut craindre controversé ? À la fondation, on exclut de tels marchandages. De son côté, Jean-Pierre Jornod balaye l’éventualité que Jean Petit ait réalisé des faux. Certains professionnels ne masquent toutefois pas leur inquiétude.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Sa fondation se réveille

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